Théorie du changement

Qu’est-ce qu’une théorie du changement ?

« Une théorie du changement (ToC) est une vision explicitement documentée (et donc évaluable) de la façon dont on pense que le changement doit se produire. » Rick Davies

théorie du changement - une modélisation des changements attendus
Il faudrait que tu sois un peu plus précis sur cette deuxième étape… Crédit : Sidney Harris

La « théorie du changement » est notre postulat de base au moment où un programme est envisagé. Elle illustre notre vision. Il s’agit d’une projection de la façon dont on imagine que le changement va avoir lieu : une feuille de route, un cadre conceptuel.

Le premier intérêt est de pouvoir formaliser notre raisonnement et modéliser notre intervention. Distinguer ce qui est du domaine de l’implicite et celui de l’explicite.

Le second intérêt est de pouvoir présenter, au fur et à mesure de l’élaboration du programme, cette théorie du changement aux diverses parties prenantes. Les autres acteurs valident-ils votre projection ? Ou émettent-ils des réserves ou des conditions préalables au changement ? Ebaucher une théorie du changement comporte ainsi une approche aussi bien exploratoire que confirmatoire.

Troisième intérêt, une fois la théorie du changement documentée et explicitée, elle devient alors évaluable : à quel point le postulat de départ est-il correct ? Le système de suivi et évaluation pourra ainsi mesurer et analyser les écarts. Les hypothèses pourront être validées, invalidées et actualisées au regard de l’expérience.

Pour un évaluateur, il s’agit d’une première étape : construire (si elle n’avait pas été formalisée) ou reconstruire cette théorie de l’intervention. Quelle était la vision des initiateurs du programme ? Quels étaient les changements escomptés ? Cette théorie était-elle, déjà sur le papier, plausible ?

Selon Huey T. Chen, le propos d’une évaluation basée sur la théorie n’est cependant pas uniquement d’analyser si une une intervention « marche » ou «ne marche pas » mais aussi de décrire le pourquoi et le comment. De la même manière dès 1995, Carol H. Weiss présente la ToC comme une théorie sur « comment et pourquoi une initiative fonctionne ».

La théorie du changement est ainsi une approche systémique qui permet de visualiser les interrelations, de modéliser puis d’observer les processus de changement. A minima par des liens simples et linéaires de cause à effets. Mais également par l’identification de boucles de rétro-actions et d’effets émergents. Introduire des notions de temporalité : à quel moment est attendu le changement ? Quels sont les leviers qui permettront de déclencher, d’amplifier ou de réguler les effets souhaités ?

La représentation graphique d’une théorie du changement

Cette théorie peut être présentée de multiples façons, de simples présentations orales ou des rapports écrits, elle est souvent représentée sous forme de graphiques : des cases et des flèches.

théorie du changement - modéliser son postulat de base
Anticiper, détecter et analyser les liens de causalité

L’enjeu d’une représentation graphique est d’être suffisamment simple pour être lisible et utilisée tout en n’étant pas trop réductrice de la réalité.

Visuel et texte sont bien sûr néanmoins complémentaires, le graphique demande à être explicité par une partie narrative. Notamment le contexte d’intervention doit être précisé (variables socio-économiques, environnementales, les politiques publiques déjà en place, les parties prenantes,…) que cela puisse être incorporé au graphique ou en annexe.

Exemple simplifié : lutte contre les dépôt sauvages via une augmentation des amendes

La théorie du changement peut-être utilisée comme outil de montage de projet : un outil stratégique permettant d’étudier puis de visualiser et matérialiser les différents chemins menant à un objectif partagé, à un changement désiré. Mais également elle peut être utilisée à tout moment pour démonter, n’importe quelle mesure afin de mieux l’appréhender et la réorienter au besoin. Prenons un exemple à travers une mesure déjà existante dans le cadre d’une politique publique liée à la protection de l’environnement et la lutte contre le dépôt de décharge sauvage :

« Le montant des sanctions financières, notamment des amendes, sera augmenté de façon substantielle afin qu’elles aient un réel pouvoir dissuasif. »

Cette mesure est extraite du plan biodiversité 2018. Ceci parmi 6 axes stratégiques, 24 objectifs, 90 actions… La mesure est ainsi volontairement extraite de son contexte afin de fournir un exemple basique. Une approche systémique permettrait au contraire d’envisager les interrelations et interdépendances entre chaque axe, objectif et action.

théorie du changement - exemple avec le plan biodiversité
L’action 17 du plan biodiversité 2018 prévoit l’augmentation des amendes afin de lutter contre les dépôts sauvages. Celle-ci s’insère au sein d’un axe intitulé « construire une économie sans pollution et à faible impact sur la biodiversité.
Quel est le postulat de départ de cette mesure ?

Ce postulat peut-être représenté graphiquement comme sur la figure ci-dessous.

théorie du changement - modélisation du postulat de base
La flèche représente un lien de causalité « si…alors… » : si le montant de l’amende est augmenté alors il y aura un effet dissuasif et le nombre de décharges sauvages va par conséquence diminuer ».

Il s’agira ainsi d’étudier le lien de causalité entre l’augmentation du montant de l’amende et la réduction du nombre de décharges sauvages.

Insérons maintenant des éléments de contexte.

Par exemple, un observateur extérieur pourra faire remarquer que des points de blocage se situent potentiellement en amont de la verbalisation (le dépôt a-t-il été constaté par la mairie ? Un procès verbal a-t-il été réalisé ? Transmis au procureur ?, etc. – voir graphique ci-dessous) et donc détecter de nouvelles interventions ou étapes afin d’étoffer la théorie de l’intervention.

En amont de la verbalisation, quels sont les préalables ou pré-conditions pour l’établissement du PV ? En aval de la verbalisation, est-ce que l’établissement du PV est une conditions nécéssaire et suffisante pour l’enlèvement des déchets ?

théorie d'action et théorie du changement - les étapes préalables au changement de comportement
Jura Nature Environnement – Les dépôts sauvages, procédures et les sanctions

Dans cet exemple, une simple réunion avec des parties prenantes (riverains, services technique de la mairie,…) permet de remodeler la théorie d’action et d’ajouter un nouvel axe, visant l’augmentation du nombre de verbalisation.

Ce nouvel axe peut ainsi contribuer à la mise en oeuvre et modeler la stratégie. Le nouvel axe peut être documenté et suivi.

Théorie d’action et théorie du changement

La théorie d’action est une visualisation du mode opératoire alors que la théorie du changement présente les effets attendus et leurs interactions. Il peut être pratique sur une modélisation de distinguer par des pointillés théorie du changement et théorie d’action : cela permet avant tout de différencier les éléments sur lequel l’institution qui porte l’action a prise de ceux sur lesquels elle n’a pas prise. 

Par exemple, sur une action de formation, l’institution aura prise sur le contenu du programme et le déroulé de la formation, mais beaucoup moins sur la mise en pratique des connaissances acquises, qui font partis des effets attendus. 

Cette perspective permet par ailleurs d’engager les responsabilités : si une action de formation est annulée suite à un défaut d’engagement du prestataire, la chaine se rompt à un niveau opérationnel – la priorité est alors le remplacement du prestataire sans que puisse être remise en question la stratégie dans sa globalité. 

Théorie d’action et théorie du changement s’imbriquent cependant et il serait vain de distinguer les deux. 

Des micro-changement se produisent sur des aspects des plus opérationnels.

Le diagramme présentant la théorie du changement va ainsi systématiquement intégrer la théorie d’action comme présenté dans l’exemple ci-dessous.

Exemple 2 : réduire l’impact environnemental dans le secteur du tourisme

A partir de la représentation globale, il sera possible d’effectuer des focus sur des points précis de la théorie mais également d’égrainer et de détailler la théorie d’action comme dans le graphique ci-dessous, extrait du même exemple.

Les limites de la représentation graphique

Le premier exemple en haut de page (lutte contre les dépôts sauvages), à des fins de simplification, ne représentait que 2 maillons, comme points de réflexion, puis s’étoffait par la suite. Le second exemple (réduction de l’impact environnemental dans le secteur du tourisme) disposait de 5 maillons, sous forme de chaine de résultats. Dans les 2 cas, toujours dans un souhait de simplification, il s’agit d’actions isolés au sein de plus vastes programmes ou politiques publiques. Les théories du changement se transforment ainsi rapidement en graphiques complexes à appréhender, comme illustré ci-dessous.

Exemple 3 : santé/amélioration des chaines d’approvisionnement

Exemple de théorie du changement dans le domaine de la santé : améliorer les chaines d’approvisionnement pour la gestion communautaire des cas de pneumonie (JSI)

Exemple 4 : soutenabilité de la filière coton

Théorie du changement : soutenabilité de la filière coton (Better cotton)

Exemple 5 : innovation en santé mentale

Innovation en santé mentale (Grand challenges Canada)

Bien que déjà complexes, ces graphiques ne renseignent pas encore sur :

  • la notion de temporalité (durée et calendrier) : à quel moment est attendu le changement ?
  • le volume : quel est le seuil minimum d’activité requis pour qu’un changement soit perceptible ?
  • l’intensité : comment distinguer entre plusieurs mesures celle qui a produit le plus d’effets pour un résultat donné ?

Enfin, plus les programmes sont complexes et transversaux (composantes multiples) et plus les causalités sont complexes à établir (l’effet cocktail).

L’évaluation basée sur la théorie

L’évaluation basée sur la théorie s’attache à comparer les résultats, effets et impacts qui avaient été visés au démarrage de l’action avec les résultats, effets et impacts réellement atteints en cours et en fin d’action.

Les processus qui ont apporté le changement sont-ils bien ceux qui avaient été identifiés au démarrage de l’action ?

Comment faire la part des choses entre ce qui est imputable au projet et ce qui est imputable aux mutations de l’environnement  ?

Quelles sont les conditions nécessaires pour obtenir un effet ? Quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes  ? Les conditions nécessaires mais insuffisantes ? Quelles sont les combinaisons de conditions nécessaires (observe-t-on des effets plus notables si diverses conditions sont réunies) ?

Actualiser la théorie du changement

Après avoir fait valider ou amender la théorie du changement par les parties prenantes, cette représentation graphique pourra également être adoptée comme outil participatif de suivi évaluation  avec les différents acteurs, en actualisant la légende au fur et à mesure des effets naissants.

théorie du changement l'élaboration de la légende comme outil participatif
Théorie du changement : exemple de légende
L’analyse des liens Contexte-Mécanismes-Effets

L’évaluation réaliste propose une approche par la triade CMO : Contexte, Mécanismes, Outcomes (effets).

La théorie du changement s’articulera ainsi autour de 3 maillons. Un intérêt est de réfléchir non plus en terme d’activités comme autant de tâches déconnectées mais en tant que mécanismes. Et d’en apprécier les rétroactions. Qu’est-ce qui a permis d’actionner un mécanisme ? Quelles étaient les conditions nécessaires ? En quoi le mécanisme agit-il déjà sur le contexte ? 

Les techniques de recueil de données permettront éventuellement de classer les témoignages en 3 catégories (ce qui relève des éléments de contexte, ce qui relève des mécanismes, ce qui relève des effets) afin de permettre à l’équipe d’évaluation de construire ou reconstruire le théorie du changement. Comprendre ce qui a pu fonctionner, permis d’accélérer dans la réponse à une problématique ou au contraire de foncer droit dans le mur. 

Les 3 dimensions, contexte, mécanismes, effets, reprennent les 3 sections du modèle logique. Néanmoins le format libre d’une théorie du changement peut permettre, comme nous l’avons vu nous, non seulement de créer une légende propre mais encore de faire figurer les boucles de rétroaction pour une approche systémique, de s’attaquer en priorité aux dysfonctionnements.

Pour aller plus loin :

De la théorie du changement à la chaine de résultats

La chaine de résultats est la version la plus basique et linéaire d’une théorie du changement, ne comprenant qu’un nombre limité de maillons, d’interactions et aucune boucle de rétroaction.

Les chaînes de résultats utilisées dans le cadre de la Gestion Axée sur les Résultats comprennent généralement 5 maillons.

Appelée indistinctement « théorie d’action», « chaine logique», ou encore « logique d’intervention », elle correspond en fait à la colonne de gauche du cadre logique, la logique d’intervention, issue de l’analyse stratégique.

➡  Pour mieux comprendre la chaine de résultats.

Précautions à prendre avec la notion de théorie du changement (ToC)

La notion de théorie du changement est de plus en plus usité sur les programmes et projets où chacun échange allègrement sur ces notions de théorie d’action, logiques d’intervention ou ToC comme s’il s’agissait de concepts universels.

Pourtant, certaines assertions (voir note de bas de page DG NEAR ci-dessous) laissent songeur et permettent d’entrevoir la profondeur de l’abime. Les responsables de projets, de programmes (agences gouvernementales, ONGs, etc.) ne sont pas des chercheurs et n’ont pas forcément une opportunité de recul suffisante afin de s’imprégner de toute la littérature afférente à la théorie du changement. Ni même de s’approprier articles ou ouvrages de référence de la discipline de l’évaluation afin d’affiner leur interprétation.

DG NEAR, Guidelines on linking planning/programming monitoring and evaluation, 2016, mise à jour en 2019. Disponible en anglais uniquement.
Quels manuels simples et opérationnels ?

Pour l’instant, les références émergent en anglais principalement. Des clarifications sont bienvenues concernant la manipulation pragmatique de ces concepts. Et comme expérimenté ci-dessous par la coopération suédoise, en s’extrayant du jargon, source de confusion.

« The terminology used for the different levels or the number of levels does not matter. What matters is that it seems plausible that one level of objectives will lead to the next level. It is important that it is clear what objectives will be achieved by the end of the programme.

What is the causality, or the thinking, behind the envisaged change? How will the cooperation partners’ inputs and activities contribute to the expected changes, and what will they, in turn, lead to? This is, in other words, the theory of change or intervention logic.

This relationship can be described by the objectives in a matrix or by a narrative text. The format does not matter. It is important, however, that the assumptions and risks behind the causality are clarified. »

Experience shows that it is easier for our cooperation partners to understand our requirements when we avoid results terminology and instead express ourselves using ordinary language

EXTRAITS : Sida’s Guidance for Results Based Management in Sida’s Contribution Management (Swedish cooperation), transmis en mai 2020

Pour aller plus loin :

Date de première diffusion : 2017
Dernière actualisation : 202
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