Ethique et déontologie : quels mécanismes et outils ?

Nous avons abordé les systèmes de suivi évaluation comme processus de régulation, afin d’adapter la finalité d’une institution en fonction de sa raison d’être d’une part, des mutations de l’environnement d’autre part, le tout à partir d’une délibération constante sur ses valeurs.

Délibérer sur des valeurs, c’est justement le coeur de métier de l’évaluation

Les professionnels de l’évaluation devraient ainsi se sentir en terrain connu pour aborder les notions d’éthique et de déontologie.

Pour autant, la discipline ne disposant pas d’autorité de régulation professionnelle, de conseil national de l’ordre, les enjeux éthiques et déontologiques sont centraux afin de garantir la crédibilité de la discipline. De manière plus accrue peut-être que pour toute autre discipline, les mécanismes et outils en place de régulation éthique et déontologique vont exposer le savoir-être des professionnels de l’évaluation mais aussi leur savoir-faire. A travers le développement même des mécanismes permettant de poser un cadre éthique et déontologique. A travers la qualité et l’opérationnalité de tels dispositifs. Encore faut-il que le mandat soit explicite et la démarche soutenue par les instances de gouvernance.

Le principe de médecine, « Primuum non nocere », « d’abord, ne pas nuire » transposé au secteur du développement s’applique aussi bien à toute politique publique comme impératif central. Et à ce titre, bénéficiera de mécanismes permettant d’anticiper et de répondre à tout type de préjudices.

Dans des environnements fluctuants ou rythmés par des rotations de personnels, émergent ou se recyclent les problématiques éthiques. Une question centrale demeure, simple et limpide : dans toute situation donnée, quel comportement adopter pour s’assurer d’être en accord avec les valeurs et les règles portées par mon institution ? 

Si l’ombre d’un doute se profile, des relais et des mécanismes d’accompagnement doivent être proposés. Si l’écart est confirmé, des mécanismes permettant une prise en charge rapide, impartiale et indépendante devront alors être disponibles.

Charte éthique et déontologique

La charte éthique énonce des valeurs et détermine les responsabilités des différents acteurs en interne dans leurs relations avec les parties prenantes. 

Une charte de déontologie consigne des règles et des comportements spécifiques, dans la mise en oeuvre de son mandat ou de sa profession, quel que soit le rôle et niveau de responsabilité.

Chartes éthiques et déontologiques sont parfois combinées afin d’apposer les valeurs et les règles, les questionnements qui surgissent et les modalités de réponse.

Deux types de chartes pourront néanmoins être distingués : tout d’abord pour des organisations de service public ou d’utilité sociale, une charte dont le périmètre englobe l’institution ou toute une administration.

Tous les corps de métiers représentés au sein d’une institution, se conforment à ces règles de déontologie, au code de conduite et aux normes institutionnelles. Mais encore, ils participent à leur définition et sont associés au moment de les faire évoluer.

La loi peut éventuellement affirmer la compétence des dirigeants dans leur rôle de régulation éthique ou déontologique. Ceux-ci  ont pour mission de veiller au respect de la charte, d’adapter ou des préciser les règles, si nécessaire aux missions de service.

Exemple : santé publique et environnement

«  Une charte de déontologie consigne des règles simples et claires concernant l’ensemble des activités professionnelles exercées dans le cadre d’un métier, à tous les niveaux de responsabilité, le respect des hommes et des femmes, la prévention des conflits d’intérêt, le respect des lois et conventions nationales, le respect d’un code de conduite externe, le respect des règles. Une charte s’adosse aux dispositions législatives, réglementaires et institutionnelles qui régissent les activités professionnelles correspondantes. » 

Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe)

Enfin, une charte peut s’appliquer à une profession dans son ensemble, transversale, par exemple une charte dédiée aux métiers de l’évaluation.

Comité éthique ou déontologique

Le comité instruit les questions éthiques, déontologiques, par exemple les conflits d’intérêt ou les actes de corruptions. 

Le comité éthique ou déontologique oriente les instances de gouvernance, tutelles ou conseil d’administration. Ou encore il fait partie intégrante du conseil d’administration. Certaines institutions adoptent des dispositions en vertu desquelles il incombe au président du conseil d’administration de faire rapport sur les saisines en cours.

Ce comité supervise et accompagne également la fonction suivi évaluation au sein de l’institution. 

Processus de rétroaction 

Si les questions éthiques s’apprécient comme le « meilleur comportement à adopter dans une situation donnée » alors le seul comité éthique centralisé et attaché aux instances de gouvernance, ne peut absorber la masse critique des aspérités éthiques susceptibles d’émerger à chaque instant au niveau des opérations.

La multiplicité des situations implique d’agréger les questions éthiques au principe de rétroaction, élément constitutif d’un système de suivi évaluation.

Principes pour l’évaluation de l’aide au développement. OCDE, 1991

L’enjeu est ainsi la déclinaison de la charte à travers une palette d’outils en fonction de l’enjeu éthique abordé.

Dans certaines institutions, un collège de référents éthiques ou déontologues prodiguera « tous conseils utiles aux agents en matière de prévention des conflits d’intérêts mais également d’impartialité, de neutralité, d’intégrité et de dignité dans l’exercice des fonctions ».

Dispositions contractuelles

Dans le cadre de prestation de service ou de consultance, les principes éthiques sont intégrés dans le contrat ou font l’objet d’annexes spécifiques, par exemple la signature d’un code de conduite. 

Les engagements mutuels seront précisés :

  • le respect des valeurs de l’institution
  • les compétences et le professionnalisme du consultant
  • le respect des lois locales et internationales
  • une non-ingérence dans les affaires politiques locales (du pays d’intervention)
  • le refus de cadeaux, sommes d’argent, rétrocommissions
  • le respect des personnes et des cultures locales 
  • détecter et signaler des situations d’abus de pouvoir ou de position dominante

Le contrat précisera par ailleurs l’obligation pour un consultant de signaler des pressions visant à agir en dehors du cadre éthique. Les mécanismes institutionnels et modes de communication appropriés permettant ce signalement seront également indiquées.

Les conséquences potentielles, aussi bien sur l’aspect financier que légal d’un manquement déontologique sera explicité.

Enfin, les mécanismes de consultation permettant d’éclaircir tout doute, toute question éthique en amont d’une procédure seront déclinés. Ceci afin d’intégrer dialogue et discussion dans les process et permettre une réponse graduée en fonction des dérives perçues ou constatées.

Protocoles de médiation

La médiation est une entremise destinée à concilier ou à faire parvenir à un accord des personnes ou des parties ayant des différents. L’action de servir d’intermédiaire entre un terme duquel on part et un terme auquel on aboutit.

Au-delà de la résolution d’un litige, la médiation vise le rétablissement des interrelations entre différents éléments du système de suivi et évaluation et l’arrêt des dysfonctionnements induits par l’absence de processus de retroaction.

L’agent chargé de la médiation, doit être neutre, qualifié, sans pouvoir de décision sur le fond du litige. En ce sens, ces compétences sont proches de celle de l’évaluateur et un différent interne pourra être abordée par une médiation par un pair : un chargé d’évaluation interne, sans fonction dans le programme évalué et sans lien hiérarchique avec les parties ayant des différents.

Bien sûr la médiation repose sur des qualités d’écoute et une aisance dans les relations humaines, mais encore une parfaite connaissance de la charte éthique et déontologique et des principes fondateurs de l’évaluation. 

Ainsi, le médiateur guide les parties vers leur propre solution tout en étant garant du respect des principes directeurs dans cette résolution. 

La médiation nécessite d’être encadrée par un protocole : le mode de requête, le délai de mise en place puis le délai imparti, la nomination du médiateur, etc.

Saisine ou alerte éthique

La saisine consiste en un droit de saisir une instance officielle (législative, judiciaire, administrative) afin de leur demander une délibération.

A partir du moment où des doutes sont émis par rapport à un écart à la charte éthique ou à des principes directeurs, n’importe quelle partie prenante devrait être en mesure de faire valoir son droit de saisine.

Notamment si aucun mécanisme de médiation n’est disponible en amont. A l’inverse, un mécanisme de médiation efficace permettra de réduire le nombre de saisine.

Un protocole stricte encadre la saisine : mode de saisine, procédure d’arbitrage, délai de réponse, etc – et permet ainsi une visibilité sur les étapes à venir.

La saisine ne devrait cependant pas constituer un parcours du combattant pour le déposant. Le déposant par ailleurs ne signale pas un dommage personnel mais un dommage collectif : une atteinte éventuelle à la mission de service public. 

En ce sens, c’est au comité éthique d’insuffler toute la dynamique et souplesse nécessaire pour se saisir rapidement du dossier, quelle que soit la complexité de la situation de départ et de fournir une appréciation la plus impartiale possible. 

Sanctions et procédures disciplinaires

Bien sûr, l’évaluation sur fonde sur des principes de collaboration, de concertation, d’apprentissage mutuel. A mille lieux d’une logique de sanction. 

Pour autant, pour la crédibilité de la discipline, un immobilisme ne saurait être envisagé lorsque des lignes jaunes ont manifestement été franchies. Des écarts avec la charte éthique et déontologique constatés.

D’éventuelles sanctions ne sont pas responsabilité du comité éthique mais s’intègrent dans le cadre plus global de la gouvernance de la structure et de son mode de management.

Toute institution dispose d’un mode de procédure disciplinaire gradué : avertissement, blâme, mise à pied, mutation, rétrogradation, licenciement,…

Le protocole de saisine ou d’alerte éthique devra ainsi spécifier le cadre disciplinaire voir légal auquel s’expose chaque partie prenante. 

Nous en revenons ici au principe « d’abord en pas nuire« . Pour la mission de service public, mettre en responsabilité des cadres qui non seulement respectent la charte éthique mais s’en inspirent.

Management

Exploiter le potentiel de toute ressource humaine. Trouver la position qui permettra à chaque acteur de s’épanouir et de réaliser au mieux sa mission de service public. Pour ce faire, un pilotage par les résultats uniquement risque de se faire au détriment des valeurs. S’assoir éventuellement sur des principes pour atteindre des résultats. La charte éthique et les protocoles d’alerte s’inscrivent ainsi de manière transversale dans le management et le pilotage de la structure. Les principes directeurs peuvent être rappelés dès les offres de poste et les fiches de poste. La charte éthique signée et annexée aux contrats, etc.

Appropriation, sensibilisation, formation

Bien évidemment la gestion des alertes éthiques est elle-même encadré par les principes directeurs de l’évaluation que sont la concertation, la collaboration ou le partenariat.

Dans ce cadre, la participation en vue de la création des mécanismes est nécessaire à son appropriation. 

La sensibilisation et formation aux enjeux éthiques est une constante dans la gouvernance et le pilotage de l’institution

Espaces de discussion

Recueillir la parole, faire remonter les préoccupations, les doutes, les craintes, fondées ou non, quel que soit le protocole effectif, est un impératif afin de matérialiser les enjeux éthiques.

Ces échanges participent à la réflexion et l’inflexion des valeurs et en ces sens est au coeur du réacteur du système de suivi et évaluation. 

Récapitulons :

Ethique et déontologie : mécanismes et outils
Ethique et déontologie : positionnement dans l’organigramme
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Date de première diffusion : octobre 2022