Approches critiques de l’aide au développement

Quelques ouvrages de référence proposant une approche critique de l’aide au développement.

Development Projects Observed, Albert O. Hirschman, 1967

Ce livre est une étude critique de la planification et de la mise en œuvre des projets de développement dans les pays en développement. Hirschman y examine les processus décisionnels, les mécanismes d’exécution, et les résultats de ces projets, en mettant en lumière les défaillances et les succès, avec plusieurs thèmes récurrents :

  1. Les défaillances de la planification : Hirschman critique la tendance des planificateurs à surestimer les avantages et à sous-estimer les coûts des projets de développement. Il souligne également les lacunes dans la compréhension des contextes locaux et les dynamiques sociales, ce qui mène souvent à des projets mal adaptés aux besoins réels des populations.
  2. Les dilemmes de la mise en œuvre : Le livre aborde les défis rencontrés lors de la mise en œuvre des projets, notamment la résistance des communautés locales, les problèmes de coordination entre les différentes parties prenantes, et les difficultés liées à la gestion des ressources.
  3. L’importance de l’apprentissage par l’action : Hirschman met en avant l’idée que les projets de développement sont des processus d’apprentissage. Il suggère que les erreurs et les défaillances peuvent être des opportunités d’apprentissage pour les planificateurs et les décideurs, permettant d’améliorer les stratégies futures.
  4. Le rôle de l’innovation et de l’improvisation : Le livre met également en lumière l’importance de l’innovation et de l’improvisation dans la réussite des projets de développement. Hirschman montre comment des solutions créatives aux problèmes rencontrés sur le terrain peuvent souvent faire la différence entre un projet réussi et un échec.

En 1980, David C. Korten, critique l’approche « blueprint » (plan préétabli) pour le développement rural, la jugeant rigide et inefficace. Il propose un « processus d’apprentissage » en trois étapes pour une performance durable :

  1. Efficacité: S’adapter aux besoins locaux et au contexte.
  2. Efficience: Reproduire les succès de manière optimale.
  3. Changement d’échelle: Étendre l’impact grâce à des structures organisationnelles solides.

Korten insiste sur le rôle crucial des bailleurs de fonds : ils doivent soutenir des leaders visionnaires avec des financements flexibles sur le long terme. Cependant, des obstacles majeurs existent :

  • Planification rigide et procédures bureaucratiques qui entravent l’apprentissage.
  • Manque de recherche et de formations adéquates pour soutenir ce processus.
  • Difficulté à investir dans des projets à long terme malgré l’absence de retour sur investissement immédiat.

Sous forme de conte, les auteurs posent une question centrale : et si le développement, ses analyses, ses réflexions, ses théories et ses projets, ses procès, ses querelles mais aussi ses espoirs, étaient un mythe ? Mythe dans son sens premier, un mise en scène, dénuée de réalité.

L’auteur analyse de manière rétrospective les efforts d’aide au développement dans les pays du Sahel sur les 20 dernières années, en se basant sur de nombreux projets et programmes soutenus par les bailleurs de fonds. Il cherche à comprendre pourquoi, malgré des ressources considérables investies, les résultats restent en deçà des attentes.

Principaux constats :

  • Les interventions se concentrent trop sur des solutions techniques standardisées sans prendre suffisamment en compte la complexité des contextes locaux.
  • Elles peinent à s’attaquer aux causes profondes de la pauvreté et du sous-développement qui sont des problèmes systémiques et multi-dimensionnels.
  • Il existe souvent un décalage entre les priorités des bailleurs et celles des populations bénéficiaires.
  • Les approches descendantes (« top-down ») dominent au détriment de la participation réelle des communautés locales.
  • Les projets manquent de flexibilité et de capacité d’adaptation aux évolutions du terrain.
  • La coordination insuffisante entre acteurs nuit à la cohérence d’ensemble.

Une approche critique sur l’efficacité de l’aide au développement. Malgré des décennies d’aide, la pauvreté et les inégalités persistent dans de nombreux pays en développement. Selon Riddell, l’aide est souvent mal ciblée, peut créer une dépendance et décourager les efforts de développement propres des pays. Elle est parfois détournée par la corruption et les projets financés ne sont pas toujours adaptés aux besoins locaux. L’aide est aussi volatile et imprévisible, et les pays donateurs l’instrumentalisent parfois pour servir leurs propres intérêts. En conclusion, Riddell estime que l’impact global de l’aide reste en-deçà des attentes et que de profondes réformes sont nécessaires. Il plaide pour une aide plus prévisible, ciblée sur la lutte contre la pauvreté, alignée sur les priorités des pays bénéficiaires et découplée des intérêts des donateurs.

Le « cadre logique » est une technique de rationalisation de l’action publique centrée sur la planification par objectifs, devenue omniprésente dans les institutions de développement. Il privilégie une perspective purement gestionnaire centrée sur les facteurs quantifiables, la légitimation de l’intervention et une vision linéaire et mécanique de la causalité. Cette perspective ignore les facteurs politiques, les conflits, le rôle des acteurs ou les ajustements stratégiques. Elle repose sur une épistémologie positiviste largement dépassée, loin des acquis de la sociologie des organisations, de l’analyse des politiques publiques et de la socio-anthropologie du développement. Cependant, les usages pratiques qu’en font les professionnels du développement sont assez éloignés des prétentions théoriques du modèle. Son utilité dans la sélection ou dans l’évaluation des projets rencontre un large scepticisme, mais tous s’accordent à reconnaître qu’il peut permettre un contrôle de cohérence dans la conception des projets.

  • Dead Aid: Why Aid is Not Working and How There is a Better Way for Africa, Dambisa Moyo, 2009

« Dead Aid » est une critique de l’aide internationale au développement en Afrique. L’auteure, économiste zambienne, soutient que l’aide massive accordée au continent pendant des décennies n’a pas atteint son objectif de réduction de la pauvreté et, au contraire, a eu des conséquences néfastes. Moyo argumente que l’aide a créé une culture de dépendance des gouvernements africains vis-à-vis des donateurs étrangers. Cette dépendance a miné la responsabilité des gouvernements envers leurs citoyens et a découragé la mise en place de politiques économiques durables. Selon elle, l’aide a alimenté la corruption, déformé les marchés locaux et découragé l’initiative privée.

  • The Tyranny of Experts: Economists, Dictators, and the Forgotten Rights of the Poor, William Easterly, 2014

Dans cet ouvrage, l’économiste William Easterly remet en question l’approche technocratique traditionnelle de l’aide au développement. Selon lui, cette approche, qui se concentre sur les solutions techniques et les objectifs quantitatifs, néglige les droits et les libertés individuelles des populations pauvres.

Easterly critique l’influence excessive des experts économiques et des dirigeants autoritaires sur les politiques de développement. Il soutient que cette « tyrannie des experts » a conduit à des programmes d’aide inefficaces, voire dommageables, car ils ignorent les réalités locales et les aspirations des populations.

L’auteur plaide pour une approche plus centrée sur les individus et leurs droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression, de circulation et d’entreprendre.

Easterly s’appuie sur de nombreux exemples historiques pour illustrer les effets pervers de l’ingénierie sociale top-down menée par les experts et les dictateurs. Il montre comment cette approche a souvent abouti à l’oppression et à la privation des droits des populations vulnérables.

L’article « Distorsions et dilemmes du système performatif de l’aide internationale au développement » examine les complexités et les contradictions inhérentes au système d’aide internationale au développement. Il met en lumière comment la recherche de résultats mesurables et la pression pour démontrer l’efficacité peuvent conduire à une série de distorsions dans la manière dont l’aide est planifiée et mise en œuvre. L’accent est mis sur la « performativité » du système, c’est-à-dire la tendance à mettre en scène des succès et à valoriser les indicateurs de performance au détriment de l’impact réel et durable sur le développement.

L’article explore plusieurs dilemmes clés, notamment la manière dont les exigences de redevabilité et la focalisation sur les résultats à court terme peuvent entraver les initiatives de développement plus complexes et à long terme. Il souligne également comment cette approche peut limiter la prise de risque et l’innovation, puisque les acteurs de l’aide sont incités à choisir des projets qui garantissent des succès visibles et mesurables.

L’article discute de l’effet des distorsions sur les relations entre donateurs et bénéficiaires, où les premiers dictent souvent les termes et les priorités, parfois au détriment des besoins réels des populations ciblées. Cette dynamique peut conduire à une forme de dépendance des bénéficiaires envers l’aide internationale, au lieu de favoriser leur autonomie et leur capacité à gérer leur propre développement.

En conclusion, l’article appelle à une réflexion critique sur les pratiques actuelles de l’aide internationale et suggère la nécessité de repenser les approches pour mettre davantage l’accent sur l’impact à long terme, la durabilité et l’alignement avec les priorités des communautés bénéficiaires. Il encourage les acteurs de l’aide à adopter des méthodes plus flexibles et adaptatives qui peuvent mieux répondre aux réalités complexes du développement.

L’aide au développement à l’épreuve des stratégies absurdes, François Doligez,  Revue internationale des études du développement pages 87 à 111, 2020/1 (N° 241)

L’aide au développement, tout comme l’action sociale, ne peut être évaluée uniquement selon des critères financiers. Il est nécessaires de s’intéresser aux cadres institutionnels et aux pratiques qui sous-tendent les politiques d’aide au développement.

L’auteur s’interroge sur les « décisions absurdes » issues des principes du Nouveau Management Public (NPM) et de leur application dans la mise en œuvre réelle des politiques d’aide.Alors que les principes de gestion du NPM se prolongent dans de nouvelles formes de financement du développement (partenariats public-privé, contrats à impact social, etc.), l’auteur souligne la nécessité d’une recherche critique sur « ce que les modes de financement font aux pratiques démocratiques ». Cet examen critique est un préalable indispensable pour refonder de nouveaux rapports entre partenaires de l’aide au développement aux échelles nationale et locale.

La politique française de coopération. Je t’aide, moi non plus, Philippe Marchesin, L’Harmattan, 2021

Philippe Marchesin propose une déconstruction critique de la politique française de coopération depuis les décolonisations, en mettant en lumière les paradoxes et intérêts qui la sous-tendent. L’objectif est de montrer ce que la France, en tant que pays donateur, reçoit en retour de son aide, au-delà d’un simple flux à sens unique. L’aide est ainsi vue comme une « transaction » entre deux parties. L’analyse souligne la continuité de logiques d’influence politique et d’intérêts français hérités de la colonisation, ainsi que le poids des présidences successives et des relations interpersonnelles.

La première partie de l’ouvrage met en évidence la prédominance croissante d’une logique économique et libérale dans les institutions et chez les acteurs de la coopération. La seconde partie analyse la relation bilatérale d’échange et de rapport de force entre États donateurs et receveurs, servant leurs intérêts respectifs (économiques, diplomatiques, sécuritaires, personnels…).

« The Development World: Conflicts of Interest at All Levels », Revue internationale des études du développement, 249, Valéry Ridde et Jean-Pierre Olivier de Sardan, 2022

Dans cet article, Valéry Ridde et Jean-Pierre Olivier de Sardan proposent une définition inclusive du conflit d’intérêt. Le conflit d’intérêt intervient lorsqu’un acteur engagé à n’importe quel degré d’ingénierie de projet, humanitaire ou de développement, estime nécessaire d’afficher des opinions qui contredisent ses perceptions ou ses connaissances, de retenir des critiques ou d’ignorer les problèmes rencontrés par l’intervention. 

Ainsi, une surdité aux critiques émises par d’autres acteurs ou une auto-censure de ses propres critiques. Toute critique ouverte pouvant ainsi mettre en péril la position de chacun et chacune dans l’industrie du développement. Un univers ou l’auto-congratulation, l’auto-régulation, la parole élogieuse, la promotion des interventions et l’utilisation d’un langage stéréotypé est la norme.

Les enjeux sont divers : obtenir ou renouveler un financement, la crainte de ternir son image, « ne pas nuire » à sa carrière ou à son compte en banque.

Pour les consultants, la pression implicite des contractants de ne plus avoir recours à des profils estimés trop critiques. Une certaine connivence entre bailleurs et consultants, dans des espaces de temps de toute façon trop restreints pour des évaluations de qualité et coincés en tant que prestataire par des termes de référence qui imposent ce qui doit être étudié et comment. Sortir du cadre implique s’exposer à ce que le rapport ne soit pas « validé » et de fait non-payé. 

Les ONG et agences de mise en oeuvre, en tant que sous-traitantes, mises sur le renouvellement d’un contrat, voir jouent leur propre survie sur l’atteinte des résultats préalablement fixés au moment de la contractualisation du « partenariat ».

De la même manière, les services publics, exigus, sont enclins à dissimuler les échecs, montrer qu’ils sont bon élèves, que les activités prévues ont été menées de manière efficiente, quelle qu’en soit la qualité, afin d’engendrer ou renouveler l’appui. Par ailleurs, « à cheval donné, on ne regarde pas les dents ». 

Cette posture du bon élève se décline des échelons territoriaux jusqu’aux populations bénéficiaires, gommant les aspérités des arènes politiques locales, elles mêmes susceptibles d’accélérer ou de contraindre la réussite des initiatives. Peu importe l’issue, des narratifs idylliques sont attendus et produits pour les partenaires étrangers.

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