Nous évoquerons ici l’environnement dans le sens de cadre, de contexte.
Aussi bien le contexte institutionnel (les normes établies, les valeurs, les modes de gouvernance,…) que les contextes pragmatiques tels que présentés par Jean-Pierre Olivier de Sardan* : les jeux d’acteurs, les normes et pratiques, les routines, les logiques de contournement…
Et « propice » dans le sens de favorable, en anglais « enabling environment » : habilitant ou déclencheur, un environnement qui favorise, qui permette l’évaluation.
La montée en compétences des systèmes de suivi et évaluation au niveau des programmes et des projets
Depuis une quinzaine d’années, nous avons pu assister à la structuration de systèmes de suivi et évaluation au niveau des institutions mais plus particulièrement au niveau des programmes et des projets, notamment grâce à des lignes budgétaires appropriées et des postes spécifiques dédiés.
Néanmoins, ces unités de suivi et évaluation naviguent dans des environnements complexes que nous allons ici noircir à dessein : le principe étant que si un seul des dysfonctionnements présentés ci-dessous est activé/toléré et c’est l’ensemble du système de suivi et évaluation qui se trouve annihilé.

Selon l’expression, les cordonniers étant souvent les plus mal chaussés, commençons par les cellules/unités/départements évaluation. Au delà des potentiels biais et difficultés techniques, nous observons des défis, cadres ou contextes où existent : des unités d’évaluation marginalisées, de la complaisance au regard des programmes, du MEAL washing, de l’autosatisfaction, du suivi à des fins de contrôle uniquement, des évaluations inutiles car non exploitées, de la rétention d’information, une certaine opacité…
Ces unités s’inscrivent dans un style de management impulsé et décliné par l’institution sur l’ensemble des unités où peuvent exister : des chefferies ou seigneuries, un climat de défiance, de la toxicité, de la déconsidération, de l’individualisme, de la condescendance, de l’intimidation, de l’irrespect, du sexisme, de forts turn-overs.
Chaque unité/projet/équipe étant composé de personnalités individuelles avec des répercutions distinctes en terme de stress, d’anxiété, de désengagement. A l’origine, au delà des techniques de management, des égocentrismes, de la mégalomanie, du narcissisme et des comportements toxiques tolérés.
Tout ceci s’insère dans des modes de gouvernance institutionnelle plus globales où nous pourrons retrouver de l’anomie (disparition des valeurs communes à un groupe), une forte inertie malgré un fonctionnement permanent en mode urgence, une certaine permissivité, une opacité des processus décisionnels,…
Ceci dans un cadre où les pays disposant d’une institutionnalisation de l’évaluation sont encore rares et les institutions à caractères publics naviguent dans des environnements plus larges, au niveau national comme international où cohabitent : conflits d’intérêts, concussion, corruption, favoritisme, lobbys, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, clientélisme, autoritarisme, régionalisme,…
De nouveau, il ne s’agit pas ici d’exposer un cadre existant, mais la capacité de détection d’une seule de ces occurrences, susceptible de rendre inopérant l’intégralité du système de SE que nous nous évertuons a mettre en oeuvre.
Les projets et programmes d’intérêt général seront scrutés au regard de leur performance quand bien même parallèlement aucune donnée ne reflètera les sources de dysfonctionnement qui sortent du champ de l’évaluation stricte du projet.
Dans le meilleur des cas, nous aurons des projets « bien évalués » : au regard de leur pertinence, cohérence, efficacité, efficience, de leur impact et de leur durabilité.
Agrandir le champ de vision au-delà des programmes et projets
Essayons de trouver le miroir des dysfonctionnements précédemment cités :
- Au niveau d’un service/unité/département d’évaluation : utilité, inclusion, transparence, circulation de l’information,…
- Au niveau individuel/des qualités personnelles et humaines : solidarité, empathie, dévouement, équilibre, loyauté, adaptabilité, esprit d’équipe…
- Au niveau du management : collectif, respect, valorisation, engagement, considération, confiance, stabilité, progression, cordialité,…
- Au niveau de la gouvernance institutionnelle : valeurs, vision, probité, responsabilité, conformité, traçabilité des processus décisionnels,…
- Au niveau de l’environnement global : éthique, intérêt général, institutionnalisation de l’évaluation

La démarche est décevante puisque rien de bien nouveau dans la figure ci-dessus, nous avons simplement retrouvé les normes et principes d’évaluation tels que présentés dans les cadres internationaux de la discipline.
Néanmoins, à minima 3 constats :
- Les évaluations de projets n’ont pas à se prononcer systématiquement sur leur environnement, favorables ou non, propices ou non, par exemple exposer et expliciter d’éventuels conflits d’intérêt.
- les évaluations de projets s’inscrivent majoritairement dans les critères du CAD, certaines valeurs ou critères alternatifs sont alors hors champs de vision : la collaboration, la relation de confiance, la solidarité, l’engagement, l’esprit d’équipe, la prise de risque, …
- Les équipes d’évaluation peuvent se retrouver totalement démunies face à tout ce qui interroge la probité : en tant que simples prestataires de service, quel serait leur interlocuteur ?
Pourtant, nous avons au niveau de l’évaluation de projets et programmes un réservoir de compétences fantastique, au service de l’institutionnalisation de l’évaluation.
*Jean-Pierre Olivier de Sardan, La revanche des contextes. Des mésaventures de l’ingénierie sociale, en Afrique et au-delà, Paris, Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 2021, 494 p.
Pour aller plus loin
- Un environnement propice à l’évaluation
- Un environnement propice à l’évaluation : quels leviers ?
- Glossaire : principes, normes, standards d’évaluation
- Glossaire : éthique, déontologie, intégrité
- Ethique, déontologie, intégrité : quels mécanismes et outils ?
Date de première diffusion : juillet 2023