La Gestion Axée sur les Résultats (GAR) est un outil de planification et de gestion de projet et à ce titre incorpore (ou peut être utilisé comme) un dispositif de suivi et évaluation.
La GAR trouve son origine dans le concept de « management par objectifs », présenté par Peter Drucker en 1954 (« The practice of management ») puis approfondi en 1964 dans l’ouvrage « Managing for results ». La traduction française est « Bien connaître votre affaire et réussir ». Sans ambiguïté, il s’agit bien d’un manuel de management destiné au secteur privé.
La GAR se caractérise par un management en fonction d’objectifs initiaux pré-établis, puis le suivi de ces objectifs à travers l’analyse des écarts entre le prévisionnel et ce qui est effectivement accompli.
A titre indicatif, l’approche du cadre logique développée par Leon J. Rosenberg en 1969 est un outil de planification qui intègre également ce type de management par objectifs.
Utilisée dans le domaine de l’aide au développement depuis plus de 30 ans, l’influence de la Gestion Axée sur les Résultats est diffuse, sous différents noms, différents formats, différents outils : matrice du cadre logique, cadre de mesure du rendement, cadre de résultats, suivi axé sur les résultats, etc.
Quelques définitions par des acteurs institutionnels :
- “la GAR est une stratégie ou méthode de gestion appliquée par une organisation pour veiller à ce que ses procédures, produits et services contribuent à la réalisation de résultats clairement définis. » (PNUD)
- “axer la gestion sur les résultats signifie gérer et mettre en oeuvre l’aide en se concentrant sur les résultats souhaités et en utilisant les données disponibles en vue d’améliorer le processus de décision.” (Déclaration de Paris, 2005)
- « Stratégie de management orientée vers la performance, la réalisation d’extrants et l’accomplissement d’effets directs. » (glossaire CAD-OCDE)
Les différents types de résultats
Pour appréhender le concept de GAR, il convient d’éclairer la notion de « résultat ». Celui-ci est compris dans un sens large : un changement descriptible ou mesurable résultant d’une relation de cause à effet. Il comprend trois niveaux :
- résultats immédiats
- résultats à moyen terme
- résultats à long terme
Une approche qui se construit sur les cendres des éléphants blancs 1
Longtemps, la conduite de projets s’achevait au moment de la livraison du produit ou service. Prenons l’exemple d’une infrastructure, la construction d’un pont. Le projet en tant qu’ouvrage se finalisait à partir du moment où le cahier des charges avait été respecté : le pont était inauguré et fonctionnel, en respect des caractéristiques techniques préalablement établies. Dans le cadre de la GAR, au-delà de la conception et de la mise en oeuvre, les objectifs du projet visent plus loin : les effets et impacts souhaités à long terme. Quelle sera la fréquentation du pont ? En quoi les usages et trajets des riverains seront-ils modifiés ? Quelles seront les conséquences du changement de comportement des usagers pour le territoire et pour l’environnement ? Quels bénéfices sociaux, économiques et environnementaux espérés à long terme pour le territoire ? etc.
La vulgarisation et le déploiement de méthodes « orientées vers les résultats » a répondu à un besoin et à une époque. En réaction et en opposition aux nombreux programmes de « développement » où l’on construisait des écoles, des centres de soins ou des routes sans se demander qui en seraient les usagers ou quels étaient leurs besoins ; des barrages, des ports ou aéroports sans s’intéresser à la maintenance nécéssaire aux équipements aménagés2.
Les fameux « éléphants blancs », des programmes faramineux d’infrastructures réalisées par de grands groupes à partir des années 1960 ou 70. Toutes les technologies et les compétences étaient importées au moment du chantier, sans connaissances des contextes locaux. Sans surprise, nombre de ces infrastructures ont périclité (voir également une approche critique de l’aide au développement).
L’ère de la communication : lorsque les objectifs font office de cartes de visites
La mise en oeuvre de programmes dans le cadre de la Gestion Axée sur les Résultats peut toutefois aboutir à un autre extrême. Dans un contexte où les programmes sont de plus en plus immatériels (gouvernance, appui institutionnel, assistance technique, renforcement des capacités, etc.), les résultats attendus sont de plus en plus nébuleux (voir graphique ci-dessous) ou sophistiqués. Sans se donner les moyens de cette sophistication, les études poussées et multidisciplinaires requises, les résultats ambitionnés semblent parfois tous se ressembler, de simples « copier-collers » d’un programme à l’autre. Ce qui amène l’observateur extérieur, l’usager ou le contribuable à s’interroger : mais quelles sont les activités concrètes déployées et quels sont les bénéfices palpables pour la population au sens large ? Ou encore, n’existe-t-il pas un grand écart entre un résultat attendu ronflant et ambitieux et des réalisation basiques et conventionnelles ?
Par exemple :
- Objectif : déclencher le dividende démographique
- Réalisation/produit : distribution de fournitures scolaires… (please find the gap)
Sortir du jargon et revenir à un vocabulaire simple et pragmatique
En quoi la simple distribution de fournitures scolaires parmi d’autres prestations tout autant basiques et ordinaires permettraient-elles de déclencher un dividende démographique ? Par ailleurs, quel parcours universitaire est nécessaire ne serait que pour simplement comprendre ce qu’est un dividende démographique ? Pourquoi ne pas employer des termes simples et compréhensibles par l’ensemble des personnes concernées ?
Deuxième exemple de résultat dans le graphique ci-dessus : « améliorer la résilience des personnes déplacés ». Si l’objectif affiché à terme de résilience peut paraitre clair, il n’est pas toujours évident pour les publics visés d’avoir accès aux informations permettant de comprendre quelles sont les activités tangibles qui supposeraient d’avancer vers cet objectif.
Une approche à intégrer tout au long du cycle de projet
La GAR n’est utile que si l’approche se maintient de manière équilibrée tout au long du cycle du projet. Souvent un effort démesuré est effectué en phase de conception, l’approche est délaissée en phase de mise en oeuvre tant la confrontation avec le réel ne laisse aucun répit aux équipes de direction, les multiples ré-actualisation du cadre use les équipes, puis le programme s’achève, ne laissant que quelques indicateurs effectivement mesurés comme le sempiternel « nombre de personnes formées ». Sans confrontation de fond entre l’objectif affiché et les résultats concrets, les intitulés ronflants n’auront alors servi que de supports de communication, de mantra pour les équipes du programme et les parties prenantes, provoquant une défiance des usagers, si des résultats, même éphémères et impalpables ne sont pas présents.
Par ailleurs, l’articulation entre les phases de financement devrait être analysée dans le cadre de la cohérence globale d’une politique publique. Une absence de financement de plusieurs années entre deux programmes, peu importe la qualité du cadre de résultat de chacun d’entre eux, marquera d’une trace indélébile la performance globale, par ailleurs non mesurée, puisqu’en dehors des cadres de résultats de chacun de programmes.
Variation sur le même thème : des intitulés de programmes qui résonnent comme des incantations si le cadre de résultat n’est pas mesuré de manière effective sur TOUTE la durée du cycle de l’action
➡ « Développer les infrastructures pour une croissance économique durable et inclusive »
➡ « Promouvoir la cohésion sociale et la réconciliation nationale »
➡ « Développer les capacités entrepreneuriales et innovantes des jeunes »
➡ « Renforcer les capacités institutionnelles pour une gouvernance inclusive et participative »
Les effets négatifs de la Gestion Axée sur les Résultats
Aujourd’hui avec un recul important, documentée depuis au moins deux décennies, la mise en place de la Gestion Axée sur les Résultats a pu engendrer des effets directs et indirects divers dont nombreux sont négatifs. Voir par exemple cette étude de l’OCDE : Learning from Results-Based Management evaluations and reviews.
Notamment et particulièrement :
- une concentration des efforts sur ce qui se mesure facilement et rapidement,
- une mobilisation excessive des agents de services publics pour du rapportage sur les résultats, induisant un fardeau administratif et une augmentation des coûts opérationnels,
- une diminution de la motivation, de l’innovation, de la créativité au niveau individuel comme collectif (c’est à dire des agents comme des équipes et des services),
- une aversion à la prise de risque,
- un apprentissage limité, avec des oeillères, qui ne détecte que les bonnes pratiques, dans un langage policé où l’échec n’est jamais pleinement évoqué ni exploré,
- des partenariats déséquilibrés, avec une délégation du risque : un seul acteur est redevable, placé comme sous-traitant ou prestataire de services via des mécanismes de subventions ou d’appels d’offre : comme si l’objectif d’intérêt général n’embrassait pas une cause commune, avec une redevabilité partagée ?
- une certaine dichotomie entre des objectifs d’équité et d’inclusivité pour les populations bénéficiaires, quand bien même les agents de services publics chargés de mettre en place l’action sont uniquement évalués à l’aune de leurs performances, sans considération d’équité ou d’inclusivité. Les valeurs qui portent l’action devraient se répercuter sur l’ensemble de la gouvernance.
Enfin et comme souvent, un décalage entre la théorie et la mise en pratique ; entre les manuels de Gestion Axée sur les Résultats et comment les équipes s’en empare pour les rendre effective, sur la base de contraintes multiples existantes.
Triste constat, cette évaluation de la Gestion Basée sur les Résultats au Conseil de l’Europe, publiée en 2021 :
« Il ressort de l’exercice de comparaison des organisations homologues et de la littérature portant d’une manière générale sur la RBM (Result-Based Management)… que pas une seule organisation n’est dotée d’un système pleinement fonctionnel ayant atteint un stade auquel la RBM est globalement intégrée et influe sur le fonctionnement du système dans son ensemble…».
Evaluation de la Gestion basée sur les résultats au Conseil de l’Europe, rapport abregé, 2021
Quelles conclusions en tirer ?
La mise en oeuvre de Gestion Axée sur les Résultats en tant qu’approche de gestion ne devrait-elle pas être en capacité de mesurer ses propres résultats ? De s’auto-évaluer en tant que méthode ?
➡ une recommandation qui semble ainsi basique serait d’intégrer un système de suivi et évaluation fonctionnel à toute initiative d’utilisation de cette approche
Si les conséquences de la mise en place d’une méthode de management vont à l’encontre de l’intérêt général, de la finalité d’une organisation, de son mandat institutionnel ou de sa mission de service publique, alors des signaux d’alarme immédiats devraient être en mesure de s’activer. Ceci afin de remettre en question d’un point de vue stratégique soit le bien-fondé de la méthode, soit les modalités de sa mise en oeuvre. Voir également : éthique, déontologie, intégrité : quels mécanismes et outils
La gestion axée sur les résultats : en bref
La gestion axée sur les résultats (GAR) est une approche de gestion qui met l’accent sur l’atteinte de résultats concrets et mesurables dans la mise en œuvre des projets, programmes et politiques. Cette méthode vise à améliorer la performance tout au long du cycle d’intervention en se concentrant sur les impacts et les résultats recherchés plutôt que sur les seules activités.
La GAR permet ainsi de dépasser la simple livraison d’un projet en s’assurant que des objectifs à long terme, sociaux, économiques ou environnementaux, soient gardés en ligne de mire et évalués. Cette méthode a répondu aux « éléphants blancs », ces projets d’infrastructure coûteux et mal adaptés aux besoins locaux, négligés après leur construction.
La diffusion de la GAR a cependant généré des effets pervers : concentration sur des indicateurs faciles à mesurer, surcharge administrative, aversion au risque, créativité étouffée, contractualisation de chaque facette de l’action…
Dans des contextes fluctuant et de crises multiples, une limite est d’absorber les gestionnaires de projets dans une éternelle actualisation de leurs modélisations au détriment de réponses opérationnelles immédiates.
Pour aller plus loin
Guides, manuels
- Fiche-conseil en gestion axée sur les résultats, fiche pratique, Gouvernement du Canada, 2023
- Manuel de Gestion Axée sur les Résultats (GAR) et Agenda 2030 pour le développement durable, Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime, 2019
- Glossaire des Termes du Gestion Axes sur les Résultat (complément à « La gestion axée sur les résultats appliquée aux programmes d’aide internationale d’Affaires mondiales Canada : Un guide pratique » 2ème édition 2016
- Manuel de la gestion axée sur les résultats à l’OIF (Organisation Internationale de la Francophonie), 2013
- Manuel du ROM Monitoring orienté vers les résultats, EuropeAid, Avril 2012
- Guide de la planification, du suivi et de l’évaluation axés sur les résultats du développement, PNUD – 2009
Le ‘Guide de la planification, du suivi et de l’évaluation axés sur les résultats du développement’ a pour objet d’aborder de nouvelles directives et orientations pour la planification, le suivi et l’évaluation dans le cadre du plan stratégique institutionnel du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
- Méthodes de l’aide – Lignes directrices – Gestion du Cycle de Projet, Commission européenne, Mars 2004
- Vers une culture du résultat, dix étapes pour mettre en place un système de suivi et d’évaluation axé sur les résultats, Jody Zall Kusek, Ray C. Rist, Banque Mondiale, 2006
- Guide de la GR (Gestion axée sur les résultats) sur l’établissement de chaînes de résultats: les principes de base de la GR appliqués à 100 exemples de projets, ACDI, 2000
Articles
- L’approche de gestion axée sur les résultats dans l’aide humanitaire : avantages et inconvénients, note d’analyse, Université de Sherbrook, Jessica Dionne, 2021
- 3 big problems with how we think about results and development, Craig Valters, 2015
- Mesure et gestion axée sur les résultats dans le domaine de la coopération pour
le développement, Une revue des difficultés et pratiques chez les membres
et observateurs du CAD, OCDE, 2014
Apprentissages
- Learning from Results-Based Management evaluations and reviews, OECD Development Co-operation Working Papers, Janet Vähämäki, Chantal Verger, 2019
Guide en anglais
Retour aux sources
Sujets connexes
- La chaîne de résultats de la GAR
- Le cadre logique
- Objectifs SMART
- Indicateurs Clés de Performance (Key performance Indicators)
- Objectifs et résultats clés (Objectives and Key Results)
- Le tableau de bord prospectif
- L’avènement de la mesure de la performance individuelle
Date de première diffusion : 2015
Dernière actualisation : octobre 2024
Sébastien GALEA
- Un « éléphant blanc » désigne un projet, un investissement, une infrastructure, ou un équipement qui, malgré son coût élevé ou son apparat impressionnant, s’avère inutile, non rentable, ou difficile à maintenir. L’expression « éléphant blanc » vient de l’histoire du roi de Siam qui offrait des éléphants blancs à ses courtisans en guise de cadeau. Cependant, ces éléphants étaient considérés comme sacrés et ne pouvaient pas être utilisés pour le travail, ce qui les rendait inutiles et coûteux à entretenir. ↩︎
- Pas de fausse joie, c’est encore malheureusement le cas de nombreuses politiques publiques. ↩︎