L’apprentissage est « un processus de détection et de corrections d’erreurs » et passe par une recherche continue de perfectionnement.1
Ce processus se considère sur un temps long et se produit sur l’ensemble des niveaux d’une organisation (individu, unité, département, institution) et se répercute sur un secteur voire la société dans son ensemble.
Cependant, en premier lieu, le mode de gestion d’une organisation détermine la capacité à apprendre.
C’est la direction d’une institution qui comme son nom l’indique fournit l’impulsion, le terreau et le terrain dans lequel se développe l’apprentissage organisationnel.
Son rôle est de fournir les différents leviers propices à l’apprentissage : à quel niveau et par quels biais agir sur le système pour enclencher des améliorations substantielles2 ?
Les voies d’accès et les leviers d’apprentissage organisationnel existent mais il faut les porter politiquement et les renouveler sans sans cesse. Nous aborderons ici la détection et l’affichage des données absentes ou « trous données », les logiques de contournement et la dissimulation des erreurs.
Les data gaps
Un premier enjeu va ainsi de détecter les data gap ou absences de données. Des questions évaluatives vont être élaborées afin de détecter les zones d’ignorance, les espaces de non-savoir, les champs d’incertitudes.
Contexte d’intervention
Ces déficits de données peuvent apparaitre au niveau du contexte d’intervention. Par exemple une absence de données démographiques, économiques, environnementales sur la zone géographique d’intervention.
L’objet n’est pas forcément à ce stade de combler les trous de données mais de les circonscrire et de les afficher au même titre que les données connues.
Ces déserts de données éclaireront de fait les déserts analytiques : visualiser les potentielles prises de décision qui ne pourront avoir lieu que sur des sols mouvants, sur la base de données inconnues.
Afficher la date d’un recensement ou d’une étude, ses auteurs (Institut National Statistique, centre de recherche,…) permettra de visualiser les partenaires potentiels dans la production de données.
Ainsi, les indicateurs correspondant à l’objectif global du cadre logique doivent systématiquement incorporer des statistiques essentielles du secteur d’intervention : taux de pauvreté, taux de scolarisation, part des énergies renouvelables, etc.
Les mentions « données indisponibles » ou « données obsolètes » fournissent également une orientation majeure.
Afficher ce que l’on ne sait pas avec la même vigueur que ce que l’on sait.
Les modélisations
L’usage de modélisations, comme la théorie du changement sont des outils puissants d’apprentissage. Au moment de la conception, ce sont les retours d’expérience cumulés de l’ensemble des parties prenantes, leurs apprentissages préalables qui vont être insufflées dans la stratégie de l’intervention à venir. Au moment de débuter l’action et lors de suivi, il sera alors plus aisé de détecter toute erreur d’aiguillage : les conséquences attendues ne se matérialisent pas ou prennent une autre forme. Les effets négatifs, inattendus, indirects sont alors susceptibles de se matérialiser au même titre que les effets directs, attendus et espérés. Les informations concernant les conséquences non souhaitées d’une action pourront cependant être véhiculées dans le système de suivi et évaluation et rejoindre un centre de décision afin d’envisager une orientation stratégique ou opérationnelle.
L’absence de données peut être constatée à deux moments. Une absence de modélisation initiale : les tenants et aboutissant d’une initiative n’ont pas été formalisés préalablement. Ou par la suite constater une absence de suivi. A quel moment les premiers effets d’une action sont attendus ? Un retour d’expérience ou autre outil d’échange de savoir a-t-il été programmé ?
La remise en cause des hypothèses qui fondent l’action est centrale à la stratégie d’apprentissage organisationnelle.
Les logiques de contournement
Les nouvelles actions à mettre en place s’insèrent dans un contexte toujours préalable et viennent déranger un état de fait. Ces actions vont rencontrer des résistances, des oppositions frontales ou larvées. Gêner des situations de rente, de pouvoir, des chefferies, des avantages acquis. Modifier les habitudes de travail ou la répartition de la charge de travail. Générer des efforts ou des coût supplémentaires. Exposer des lacunes ou des manques de compétences. Réveiller des rivalités. Se substituer à des pratiques existantes. Engager une nouvelle activité correspond à réduire voire renoncer aux efforts préalables sur d’autres dossiers.
Exemple de logique de contournement
« N’hésitez pas à gonfler le budget prévisionnel pour le suivi et évaluation. Si nous dépensons plus, cela donnera une mauvaise image de la gestion du programme. Si nous dépensons moins, cela donnera une bonne image de ma gestion ». Direction de programme.
Tout programme vise une optimisation des coûts. Surdimensionner les budgets prévisionnels pour par la suite pouvoir mettre en valeur le respect du budget est un exemple de logique de contournement : l’intérêt individuel (mettre en valeur la direction) au détriment de l’intérêt collectif (fonctionner sur le budget correspondant aux besoins réels).
Chaque action possède ainsi sa propre logique. L’intérêt personnel versus l’intérêt collectif est une première clé de lecture. Ou encore l’intérêt d’une équipe ou d’un groupe ou sein d’une organisation. Comprendre les logiques de contournement est ainsi un préalable pour pouvoir les entraver.
Notamment, si les modélisations sont complexes et nécessitent de la concertation et un temps relativement long pour se mettre en place, à l’inverse les logiques de contournements peuvent être fluides et immédiates, totalement improvisées.
Par exemple ignorer une règle car elle semble injuste, détourner une procédure car trop longue, déléguer à un autre service, passer par un contact privilégié, court-circuiter le circuit hiérarchique, etc.
La dissimulation des erreurs
La crainte des conséquences, protéger sa réputation, perdre la confiance de ses collègues, des partenaires ou de sources de financements, la dissimulation des erreurs nait de ressorts multiples.
Ces erreurs sont plus susceptibles de se reproduire si elles sont dissimulées, or la dissimulation des erreurs est parfois dissimulée à son tour. Le protagoniste ou les protagonistes s’enfoncent et se débattent pour maintenir leur position initiale, leur justification des faits, leur plus beau profil.
C’est le scénario de multiples romans et films : un malentendu, un quipropo, une maladresse de départ se transforme en histoire inextricable, jusqu’à franchir toutes les limites et sortir du cadre légal, sans retour en arrière.
La dissimulation d’erreurs a un niveau collectif fait intervenir des scénario de protection ou de surprotection mutuelle, de solidarité au sein d’un groupe ou d’une équipe qui va dépasser la mission de service public ou d’intérêt général confié à ce service.
La dissimulation d’erreurs comporte des stratégies diverses : rétention d’information, menaces voilées, comportements mafieux au sein d’institutions publiques.
La position du responsable suivi évaluation est ici particulière puisqu’à la fois membre d’équipe et partie prenante du projet mais également redevable en premier lieu de faire remonter la voix des bénéficiaires et des usagers. Sa capacité concevoir et suivre des modélisations, à identifier des logiques de contournement, à détecter les erreurs et à les partager participe à son ordre de mission. Ce poste s’insère dans une culture préalable de l’apprentissage.
Un ancrage puissant de l’apprentissage dans la gouvernance et le management
Infuser la culture de l’apprentissage par les modes de gouvernance
Bien sûr, afficher l’apprentissage en tant que valeur fondamentale au sein d’un texte fondateur, d’une politique d’apprentissage institutionnelle. Mais plus globalement en fonction de la dimension de l’institution :
- les cadre législatifs ou réglementaires : les lois, les règlements et le normes dans lesquelles s’insèrent l’apprentissage organisationnel et leur évolution
- la structure organisationnelle : comment et à quel niveau de l’organigramme s’intègre l’apprentissage organisationnel
- les référents apprentissage institutionnel au sein des instances de gouvernance : conseil d’administration ou comité de pilage
- les mécanismes de contrôle interne liés à l’apprentissage
De la même manière, l’ensemble des instances de gouvernance de l’apprentissage doivent se coordonner dans le cadre de la transition des territoires : communautés de commune, services de l’état, acteurs de la formation initiale et continue…
Infuser la culture de l’apprentissage par les modes de management
Au-delà du cadre institutionnel, l’apprentissage se vit au quotidien à travers les pratiques managériales.
- valorisation de l’apprentissage par l’erreur
- accompagnement et suivi de la prise de risque
- promouvoir l’innovation et l’expérimentation
- documenter les échecs et les sorties de routes
- favoriser le tutorat ou travail en binôme
- décloisonnement des équipes via projets temporaires et inter-départements, déstructuration des habitudes
- détecter et engager les savoirs locaux, les expertises déjà présentes et potentiellement non-mobilisées
Avec des outils spécifiques : logiciels de gestion des connaissances, référentiels de compétences, cartographie des compétences,…
Mais aussi dès le processus de recrutement et tout au long du parcours d’intégration des nouveaux entrants.
➡ Voir : l’intégration de l’apprentissage dans un processus de recrutement
Ainsi, les textes fondateurs permettent de réviser la stratégie d’apprentissage où des détecter des écarts sur les principes comme la dissimulation de la dissimulation des erreurs. Néanmoins l’intégration de l’apprentissage dès le processus de recrutement accompagnée de pratiques opérationnelles et effectives au quotidien encourageront ces valeurs communes à la source et de de manière continue, en tant que culture interne.
Infuser la culture de l’apprentissage par la créativité et une diversité d’outils
- un plan de développement des compétences large et ambitieux
- le contre-rapport annuel (voir évaluation versus communication)
- une ingénierie de formation diversifiée : formation-action, étude de cas, jeux de rôle, apprentissage inversé…
- des composantes et des formats d’apprentissage diversifiés : plateformes virtuelles, centre de ressources physiques, articles, ouvrages de références
Culture d’apprentissage : les leviers
Lectures complémentaires
- Les nouveaux modes de management et d’organisation – Innovation ou effet de mode ? Suzy Canivenc, La Fabrique, 2022
- Gouvernance et coordination efficaces dans les systèmes de développement des compétences: vers un écosystème de l’apprentissage tout au long de la vie, note de synthèse OIT, 2020
Une culture d’apprentissage : en bref
L’apprentissage est un processus de détection et de correction d’erreurs, visant une amélioration continue. Il s’étend à tous les niveaux d’une organisation et se diffuse à de multiples strates de la société. La capacité d’une organisation à apprendre est principalement déterminée par son mode de gestion, avec la direction jouant un rôle clé en fournissant les leviers nécessaires à l’apprentissage.
Un aspect crucial est la détection des absences de données (data gaps) et l’affichage de lacunes au même titre que les données disponibles, ceci afin de visualiser les décisions à prendre sur des bases incertaines. Les méthodes de modélisation, comme la théorie du changement, sont essentielles pour détecter les erreurs et ajuster les stratégies en conséquence.
Les logiques de contournement ou la dissimulation des erreurs, motivées par des intérêts personnels comme collectifs, posent des défis à l’apprentissage organisationnel. L’institution doit infuser une culture de l’apprentissage à travers sa gouvernance, valorisant l’erreur, promouvant l’innovation et documentant les échecs. Cela implique des pratiques managériales spécifiques et l’intégration des processus d’apprentissage dès la phase de recrutement.
Pour aller plus loin
- Culture d’apprentissage
- Centre de ressources
- Communautés de pratique
Date de diffusion : 2024
Sébastien Galéa
- Theory in practice: increasing professional effectivenes, Argyris et Schön, 1976 ↩︎
- La cinquième discipline, 2015, Peter Senge ↩︎