From M&E to MEAL

« Evaluation », « Monitoring&Evaluation », « Monitoring Evaluation Accountability and Learning » : quelles différences ?

Dans le secteur de la coopération et du développement, la responsabilité d’apprécier la mise en œuvre ou les résultats d’un projet/programme, initialement confiée au responsable de programme (pilote d’éventuelles évaluations externes) a progressivement été déléguée à des postes ad-hoc de responsables/chargé-e-s de suivi-évaluation puis plus récemment responsables « MEAL » (en français Suivi Evaluation Redevabilité Apprentissage) ou encore MEL (suivi, évaluation, apprentissage).

Au début des années 2010, les travaux d’évaluation les plus passionnants portés par les participants à nos formations étaient parfois confiés à des stagiaires de « Masters en développement » lors de leur dernière année d’étude ou en recherche de poste : les responsables de programmes, sur lesquels des tâches liées à la redevabilité s’accumulaient, n’avaient ni le temps de s’en occuper, ni le budget correspondant.

En 2015, le GRAAL : pour la première fois des participants s’inscrivent avec la casquette officielle de responsable de l’évaluation à l’échelle de leur institution dans un cadre régional, national ou international. Cependant les postes sont parfois subis (réorganisation interne) ou réduits à une fonction de chargé de collecte de données.

Parallèlement, une difficulté récurrente pour les évaluateurs externes (principalement chargés d’évaluations – souvent contractuelles – à mi-parcours ou finale de projets ou programmes) est alors la disponibilité des données, collecter une masse d’information suffisante pour pouvoir l’analyser sur des temps de déploiement sur le terrain très courts.

Suivi-évaluation (SE)

La fonction « suivi-évaluation » (ou Monitoring & Evaluation) apparait donc comme un ré-équilibrage afin de pouvoir collecter des données de manière systématique et en continu.

MEAL (Monitoring Evaluation Accountability and Learning)

Plus récemment, l’appellation MEAL se diffuse progressivement dans les offres de postes, manuels, cadres de références d’ONG ou organisations de développement.

Cette fois encore, il s’agit d’opérer un équilibrage. L’effort de collecte de données, de reporting, l’obligation de rendre-compte, non seulement de la bonne utilisation de fonds publics mais aussi des performances, se réalise au détriment de la fonction d’apprentissage.

Le suivi évaluation comme un boulet entravant les opérationnels ?
Un suivi-évaluation trop axé sur le volet suivi au risque de manquer sa cible.

Redevabilité : obligation de rendre compte du fait que le travail a été conduit selon les règles et les normes convenues, ou obligation de rendre compte de façon claire et impartiale sur les résultats et la performance, au regard du mandat et/ou des objectifs fixés

Définition CAD-OCDE

Il faut alors repositionner l’apprentissage en tant que fonction centrale de l’évaluation. En tant que norme au cœur des politiques ou des chartes d’évaluation des organisations de développement et institutions publiques. En instaurant des temps systématiques de partage d’expérience, d’analyses critiques en continu, strictement intégrés au cycle de projet . L’évaluation contribuera alors à alimenter ou créer des ponts avec la recherche, la gestion des connaissances, la veille stratégique ou encore l’apprentissage institutionnel.

Une fonction de reddition de comptes  au détriment de la fonction apprentissage ?
Le poids des obligations contractuelles liées à la redevabilité, en tant que responsabilité de fournir des « rapports d’avancement précis, honnêtes et fiables » entrave-t-il la fonction apprentissage ?
Mais pourquoi un ré-équilibrage vers la redevabilité ?

En effet, dans l’illustration ci-dessus, l’effort ou le poids de redevabilité est présenté comme déséquilibré entravant les capacités d’apprentissage. Il faut alors distinguer les « tâches » liées à la fonction de redevabilité (voir par exemple les formats de reporting) et l’atteinte des ambitions de cette même fonction.

Si la  redevabilité est « la responsabilité de fournir des rapports d’avancement précis, honnêtes et crédibles » alors la fonction MEAL doit permettre de favoriser ou d’attester dans un cadre opérationnel mais également éthique ce degré de précision, de crédibilité, d’honnêteté. Dans un cadre circonstancié et sans complaisance.

C’est à dire inscrire la redevabilité au sein de processus et mécanismes fonctionnels permettant de distinguer « auto-satisfaction/auto-promotion » et recherche d’impartialité, exactitude, probité et sincérité.

Cette responsabilité ne peut s’exercer que s’il existe un lien entre les chargés de MEAL au niveau des équipes opérationnelles et une cellule institutionnelle faisant fonction d’évaluation indépendante, rattachée au conseil d’administration ou toute instance de gouvernance de l’institution (voir le positionnement de l’évaluation dans l’organigramme).

« Une façon subtile de contrôler les évaluateurs a été d’assimiler l’évaluation au suivi, à l’inspection, à l’audit, aux politiques basées sur la preuve, etc. et de minimiser le critère d’indépendance qui est essentiel à l’intégrité de l’évaluation sommative et à sa dimension de redevabilité. » The logic of evaluation professionalism, Robert Picciotto, Sage, 2011

L’EVALUATION dans sa compréhension la plus large et la plus noble intègre déjà des fonctions de Suivi, de Redevabilité et d’Apprentissage. Décomposer, apprécier, consolider puis ré-équilibrer chaque fonction (S.E.R.A., S.E.A.,…) permettra en effet d’orienter le projecteur sur chacune d’entre elles, une par une, méthodiquement. N’oublier aucune lettre de l’acronyme, éclairer chaque fonctionnalité et faciliter ainsi « l’évaluation de l’évaluation ».

Le partage d’une terminologie et d’un vocabulaire commun, est néanmoins une condition préalable voir un facteur entravant au démarrage de chaque programme, notamment multi-acteurs, multi-partenarial, multi-institutionnels. Chaque institution possédant un champ lexical plus ou moins uniforme en ce qui concerne l’évaluation, une maturité plus ou moins grande des systèmes, d’une institution à l’autre et au gré des habitudes acquises. Un certain jargon à uniformiser, variable également en fonction des parcours professionnels antérieurs des chargés de programmes ou chargés d’évaluation.

Ces glissements terminologiques, d’évaluation à suivi-évaluation, de suivi-évaluation à MEAL, participent à la confusion et contraignent alors l’ancrage de l’évaluation en tant que discipline.

En résumé

La redevabilité et l’apprentissage sont des fonctions intrinsèques à l’évaluation. 

Le suivi également. Souvent perçue comme activité de routine, dissociée, toute démarche de suivi mérite pourtant d’être accompagnée d’une pensée analytique. Inversement l’évaluation se nourrit et s’enrichit des données de suivi collectées.

L’appellation M.E.A.L en lieu et place d’évaluation serait ainsi un superfétatoire, comme évoquer un « arbre en bois » ou de « l’eau mouillée ». 

Les appellations MEAL ou MEL contribuent ainsi à redonner ses lettres de noblesse à l’évaluation en permettant une approche équilibrée sur ses différentes fonctions. De manière pragmatique, dès la lecture d’un profil de poste, une multitude de tâches détectées sur la fonction suivi contre un vide abyssal sur la fonction apprentissage forcera la réflexion.

A l’inverse, la diversité des intitulés de poste favorise la confusion et dessert l’émergence d’une profession ou d’une discipline commune, qui nécessite un socle de connaissances, de normes et de valeurs un minimum uniforme.

Pour aller plus loin

Date de première diffusion : décembre 2021