Programme d’appui à la gestion de la thématique migratoire, ENABEL, Maroc, de l’étude de base aux rapports d’activité

En juin 2018, nous relayions ici l’appel à manifestation d’intérêt d’ENABEL pour la réalisation d’une étude de base. Nous proposons ici de mettre en perspective ce premier pas de l’évaluation avec deux rapports d’activité ultérieurs parus en 2018 et 2020.

Le programme Amuddu, doté d’un budget de 4 600 000 euros se déroule du 15 mars 2018 au 14 mars 2023 dans les régions de Rabat-Salé-Kénitra et Casablanca-Settat. En partenariat avec le Ministère délégué chargé des Marocains Résidant à l’Étranger (MDCMRE), l’Entraide Nationale et l’ANAPEC , son objectif spécifique est d’améliorer l’employabilité des migrantes et migrants au Maroc. Pour ce faire, il vise à faciliter leur accès aux dispositifs de formation professionnelle et d’accompagnement à l’emploi, tout en dynamisant la coordination entre les structures d’aide. L’impact plus global attendu est de mieux assurer l’intégration des migrants et la gestion des flux migratoires dans le pays

Etude de base (2018)

Dans le cadre du Programme d’Appui à la Gestion de la Thématique Migratoire, l’Agence Belge de Développement «Enabel Maroc » a procédé à une mise en concurrence pour le choix d’un (des) consultants (s) pour la réalisation d’une étude de Base du système de suivi et d’évaluation, intégrant l’approche genre, pour le programme d’appui à la gestion de la thématique migratoire. Consulter la proposition initiale

Rapport annuel (2018)

Rapport de résultat 2018 pour l’intervention Amuddu

Le rapport de 2018 dépeint une année de démarrage ambitieuse mais semée d’embûches. Une phase de mise en place, centrée sur la co-construction d’un cadre de suivi solide avec les partenaires. Cependant, le très faible taux de décaissement budgétaire (6% du total) et les retards dans les activités trahissent des difficultés opérationnelles majeures. Le rapport révèle notamment un blocage avec un partenaire clé, l’Entraide Nationale (EN), suite à des changements internes , forçant le projet à envisager une réorientation stratégique quasi immédiate des subventions. En réponse, l’équipe a mis l’accent sur la formalisation des processus et la recherche de synergies pour surmonter cette instabilité. Ce document illustre donc moins des résultats de terrain que le combat d’une équipe projet pour jeter des fondations dans un environnement institutionnel complexe et changeant, tout en intégrant dès le départ une analyse de genre approfondie.

Rapport annuel (2020)

Rapport de Résultats 2020 pour l’intervention Amuddu

En 2020, le projet a permis d’inscrire 253 migrants à des formations professionnelles et d’octroyer 136 bourses d’études. Sur le plan de l’emploi, il a accompagné 253 initiatives d’auto-emploi et a enregistré l’inscription de 245 migrants auprès des services de l’ANAPEC. Ces efforts ont mené à l’insertion professionnelle concrète de 15 personnes, dont 5 via le dispositif des « contrats aidés ».

Au-delà des données chiffrés, le document révèle une navigation constante à travers d’importantes lourdeurs administratives, qui ont nécessité de réorienter des fonds prévus pour des institutions publiques vers des ONG plus flexibles. Une avancée a été l’approche des « agents communautaires », des médiateurs issus des communautés migrantes qui ont créé un lien de confiance avec les services publics. Un succès qui contraste fortement avec les risques externes majeurs, comme les difficultés liées au renouvellement des cartes de séjour, qui menacent la durabilité des efforts d’intégration. Le projet a dû faire preuve d’une grande agilité, notamment face à la crise du COVID-19, en adaptant ses activités et en renforçant la digitalisation. La performance budgétaire, avec un taux de décaissement total de 37% évoque des retards dans l’exécution, notamment pour les activités d’accompagnement à l’emploi. Une synergie est activement recherchée avec d’autres programmes, notamment MBI et DEPOMI.

Ces documents nous permettent d’extraire des indicateurs clés du projet :

Exemples d’indicateurs de contexte (État des lieux avant/pendant le projet)
  1. Taux de chômage national en 2020 : Le taux est passé de 9,1% à 10,5%.
  2. Part de l’emploi informel au Maroc : Constitue environ 80% de l’emploi total.
  3. Taux de chômage des femmes en 2020 : Atteint 14,3%.
  4. Nombre de migrants inscrits à l’Entraide Nationale (2017-2018) : 401 migrants.
  5. Nombre de réfugiés et demandeurs d’asile au Maroc (Septembre 2020) : 11 960 personnes
Exemples d’indicateurs de départ du Programme (Valeur de base = 0)
  1. Nombre de migrant(e)s financés ayant créé une initiative d’auto-emploi viable un an après : la valeur de base était de 0.
  2. Nombre de femmes migrantes orientées vers des filières techniques : la valeur de base était de 0.
  3. Nombre de migrant(e)s bénéficiant de la mesure « contrats d’insertions » : la valeur de base était de 0.
  4. Disponibilité d’un plan de renforcement de capacités pour le Comité Programme 3 : La valeur de base était « Non, 0% du plan mis en œuvre ».
  5. Nombre de migrant(e)s accueillis à l’Entraide Nationale et référés à l’ANAPEC : La valeur de base était de 0.
Exemple de recommandations

Renforcer l’Agilité Opérationnelle en Priorisant des Partenariats Flexibles Les rapports, notamment celui de 2018, montrent que le programme a fait face à d’importantes lenteurs et blocages en raison de changements de direction et de la rigidité administrative de certains partenaires publics. La décision de réorienter les subventions initialement prévues pour une institution publique vers une ONG a été une mesure corrective cruciale. Il est donc recommandé de systématiser cette approche en privilégiant, pour les décaissements financiers et la mise en œuvre d’actions de terrain, des partenariats avec des acteurs de la société civile (OSC) et des ONG.

Exemples de précédents en lien avec la recommandation

Confronté régulièrement à la rigidité administrative et aux faibles capacités de gestion de certains partenaires étatiques, le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme utilise délibérément la flexibilité de son modèle. Il n’hésite pas à réorienter ses subventions vers des organisations de la société civile (OSC) désignées comme « Récipiendaires Principaux ». Cette approche n’est pas une simple mesure corrective, mais une stratégie de mitigation des risques inscrite dans son mode opératoire, permettant d’assurer une exécution budgétaire efficace et de garantir la continuité des programmes de santé vitaux là où les canaux publics sont défaillants.

Dans le domaine de l’aide humanitaire, notamment dans des contextes de crise comme en Syrie ou au Yémen, le contournement des institutions publiques est une pratique courante. Face à des blocages politiques ou à l’incapacité des gouvernements à opérer sur tout le territoire, les agences de l’ONU et les bailleurs de fonds internationaux financent directement un réseau d’ONG locales et internationales. Cette priorisation des partenariats non-gouvernementaux permet de déployer l’aide rapidement, de manière neutre et d’atteindre les populations les plus vulnérables, transformant la recommandation en une procédure opérationnelle standard pour une agilité maximale.

Enfin, au sein des grands projets de développement financés par des institutions comme la Banque Mondiale, cette même logique s’applique lors des restructurations de projet. Lorsqu’un programme prend du retard à cause de l’inertie d’une agence gouvernementale, les « revues à mi-parcours » sont souvent l’occasion de réallouer les fonds et les responsabilités. Les composantes bloquées sont alors confiées à des entités plus agiles, telles que des agences fiduciaires privées ou des fédérations d’OSC, afin de débloquer les décaissements et de relancer la mise en œuvre pour atteindre les objectifs de développement initialement fixés.

Conclusion

La mesure du succès d’un programme ne réside pas seulement dans l’atteinte de ses indicateurs finaux, mais dans l’intelligence stratégique avec laquelle il a navigué son environnement. La capacité à travailler avec les structures officielles pour les renforcer tout en cultivant la capacité de les contourner via des partenaires plus souples lorsque nécessaire est une habileté essentielle et peu contrôlable. C’est le cœur d’une gestion de projet adaptative.

Cette « agilité partenariale » est un capital immatériel. Les cadres de résultats et les rapports officiels sont conçus pour la redevabilité linéaire : nous avons financé X pour obtenir Y. Ils sont mal à l’aise avec la « réalité complexe » qui consiste à dire : « Nous avons atteint Y parce que nous avons su habilement passer du partenaire A au partenaire B, gérer des relations politiques sensibles et nous adapter à des blocages imprévus ». Documenter officiellement cette manœuvre peut être perçu comme un aveu que le plan initial était trop risqué ou que le partenaire public était peu fiable ou motivé, ce qui est diplomatiquement délicat.

L’agilité et l’intelligence relationnelle des équipes sur le terrain ne sont pas des « plans B » ou des « bricolages », mais la compétence stratégique numéro un. Il faudrait compléter les indicateurs de résultats (le quoi) par des indicateurs de processus et d’adaptation (le comment). Evaluer la « qualité de la stratégie de partenariat » ou documenter les « pivots stratégiques réussis ». Les rapports et les évaluations devraient inclure une section « Apprentissage et Adaptation Stratégique » honnête et sans fard où les équipes peuvent documenter, sans comment elles ont navigué la complexité. La connaissance tacite des gestionnaires intègre la mémoire institutionnelle et devient un capital pour toute l’organisation.