La méthode du patient traceur

Etes-vous déjà passé par un parcours de soin où il vous faut ré-expliquer tout le contexte à chaque nouvel interlocuteur ? Avez-vous provoqué une dispute entre professionnels en exposant les directives contradictoires qui vous ont été transmises ? Ou encore, dans tout autre contexte (éducation, transport…), vous êtes-vous demandé pourquoi une même information devait être saisie encore et encore dans une multitude de formulaires ?

L’idée ici est d’exposer la méthode du patient traceur et son champ d’application potentiel à toute autre politique publique.

A l’origine : une méthode en santé publique

La méthode du patient traceur est une approche qualitative d’évaluation et d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. Elle consiste à suivre rétrospectivement le parcours réel d’un patient au sein d’un établissement de santé pour analyser la coordination, la continuité et la qualité des soins qui lui ont été délivrés.

La méthode est née au début des années 2000 aux États-Unis. Elle a été créée par la Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organizations (JCAHO), l’organisme qui certifie les hôpitaux américains.

Ils font un constat cinglant à l’époque : les auditeurs passent trop de temps le nez dans des classeurs à vérifier des procédures écrites, et pas assez à observer la réalité des soins. La philosophie initiale est : « Don’t tell me, show me » (ne me dites pas ce que vous faites, montrez-le moi plutôt avec un patient). Puis, pour préparer les visites de certification, on passe du « Show me » au « Tell me » et vice-versa, pour détecter des incohérences entre le discours et les pratiques effectives.

Le principe est simple : un modérateur retrace et expose le parcours d’un patient en interrogeant les professionnels impliqués, en consultant son dossier médical, et en analysant les processus de prise en charge. L’objectif est d’identifier les points forts et les dysfonctionnements dans l’organisation des soins, la communication entre professionnels, la transmission d’informations, et le respect des bonnes pratiques.

En France, la méthode a été adaptée et introduite par la Haute Autorité de Santé (HAS) dans le cadre de la certification des établissements de santé. Elle a été expérimentée à partir de 2011 et généralisée dans la procédure de certification V2014, devenant un outil central d’évaluation lors des visites de certification.

La crise actuelle des ressources humaines en santé valide de manière cinglante l’approche systémique de la méthode : les dysfonctionnements ne sont plus des erreurs individuelles mais des effondrements de processus faute de moyens (le « piège de la compensation » a sauté). En revanche, ce contexte difficile expose la la mise en œuvre même de la méthode. Celle-ci exige du temps et de la disponibilité d’esprit (2 à 3 heures par traceur). Aujourd’hui, les équipes sont si tendues que cet outil, conçu pour donner du sens, est souvent vécu comme une surcharge bureaucratique insupportable, contredisant son objectif initial de « bienveillance ».

Pour aller plus  loin 

Ce rapport de l’IGAS valide le sentiment de complexité croissante des usagers, particulièrement pour les étrangers et les personnes handicapées , contredisant l’optimisme technocratique du « tout numérique » des précédents objectifs. Sans « parcours attentionnés » humains, les plus fragiles décrochent, l’accueil physique doit être maintenu. L’IGAS appelle à passer d’une logique de guichet cloisonné à une véritable logique d’accompagnement par « moments de vie » (séparation, naissance, retraite). Dans lesquels intégrer une écoute usager qualitative continue plutôt que de simples sondages de satisfaction finaux. À contre-courant de la prolifération administrative, les auteurs recommandent de freiner la création de nouveaux dispositifs afin de mieux consolider l’existant. Le rapport réintroduit ainsi la notion de coût de la complexité : en absence d’accompagnement, ce sont les plus précaires qui paient par le non-recours.

En bref : alors que l’approche américaine est très axée sur l’audit et la recherche de non-conformité, la HAS suggère plutôt à travers cette méthode une démarche d’apprentissage, sans jugement, avec tact et bienveillance, anonymisée. 

Si la démarche à été popularisé sous le nom de « patient » traceur , l’enquête, la piste, ne se limite pas au patient. Il est envisageable de suivre également le parcours, par exemple d’une ordonnance, d’un médicament ou d’un produit d’hygiène, d’une procédure de recrutement. La démarche peut s’appliquer sur l’ensemble des facettes : un parcours clinique, le contrôle des infections, le circuit des prélèvements, la maintenance des équipements, la formation et intégration dans un service. 

La méthode traceur sert à briser cette illusion de fautes individuelles et du piège de la compensation en remontant la piste des symptômes visibles (désordre, retards) jusqu’à leur cause racine unique (gouvernance, budget). Elle peut permettre de dédouaner ainsi les soignants pour requalifier ces multiples problèmes de terrain en une faute majeure de leadership.