Veille : évaluation des politiques de rénovation énergétique
Cette section rassemble diverses analyses récentes qui dressent un bilan critique de la stratégie nationale de rénovation énergétique. Face au blocage du marché locatif et à la paupérisation des copropriétés, ces rapports (Sénat, Cour des comptes) convergent vers un constat d’urgence : la nécessité d’adapter le cadre normatif de la loi « Climat et Résilience » aux réalités économiques et techniques du terrain. Mais au-délà, c’est toute la politique du logement qui laisse transparaitre ses failles et ses fissures. A travers un cas pratique réel, sous forme d’appartement « témoin » en rénovation, cette page sera mise à jour régulièrement en fonction des avancées ou des points de blocage de cette expérimentation (voir 2ème partie).
- Pour une relance durable de l’investissement locatif, Rapport au Gouvernement, Marc-Philippe Daubresse et Mickaël Cosson, juin 2025
Face à une crise du logement qualifiée d’historique et un niveau de construction au plus bas depuis 1950 , ce rapport parlementaire propose une refonte structurelle de la fiscalité immobilière pour réactiver l’investissement des particuliers. Les auteurs plaident pour la fin des « niches fiscales » temporaires au profit d’un statut pérenne du bailleur privé, permettant l’amortissement comptable du bien (5 % dans le neuf, 4 % dans l’ancien rénové) afin de rendre la location nue de longue durée aussi attractive que le meublé touristique. L’intention est clairement de provoquer un choc d’offre pour sauver la filière BTP menacée : le texte parie qu’une fiscalité incitative générera 90 000 logements supplémentaires par an d’ici 2030, compensant ainsi le coût budgétaire par un surcroît de recettes de TVA et d’activité économique.
- Proposition de loi visant à clarifier les obligations de rénovation énergétique des logements et à sécuriser leur application en copropriété, Sénat, Amel Gacquerre et autres, avril 2025
Adopté par le Sénat le 1er avril 2025 (texte n° 94), ce texte législatif entend desserrer l’étau du calendrier de la loi « Climat et Résilience » qui interdit la location des passoires thermiques (classées G depuis 2025). Face au risque d’une éviction massive de logements du marché locatif, la proposition instaure des « clauses de sauvegarde » pour les propriétaires de bonne foi. Elle suspend l’interdiction de louer si la copropriété a refusé les travaux de rénovation des parties communes ou si des contraintes architecturales ou patrimoniales rendent les travaux impossibles. Le texte instaure également le bouclier du DPE collectif, selon lequel un immeuble classé E ou mieux suffit à exonérer tous ses appartements, même ceux classés G individuellement. En créant ces exceptions légales, le Sénat veut empêcher que la responsabilité de la précarité énergétique ne pèse sur le seul bailleur quand le blocage est collectif. Le texte veut éviter que la non-conformité énergétique ne devienne une arme automatique pour les locataires ou un moyen de ne plus payer son loyer. Plus largement, ces mesures visent à restaurer l’attractivité de la pierre face aux placements financiers, en réduisant l’incertitude et la lourdeur administrative qui pèsent aujourd’hui sur la rentabilité réelle des bailleurs. Transmis à l’Assemblée nationale mais en attente d’inscription à l’ordre du jour, ce texte reste pour l’instant inappliqué.
- Rapport d’information sur la crise du logement, Commission des affaires économiques du Sénat, Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Amel Gacquerre, 2024
Ce rapport dresse le constat d’une crise du logement majeure et politique, marquée par une chute brutale de la construction neuve (-20 à 30 %) et un blocage du parcours résidentiel. Les sénatrices pointent la responsabilité du Gouvernement qui, par une logique d’économies budgétaires (baisse des APL, fin du Pinel, fiscalité lourde), a fragilisé le secteur bien avant la hausse des taux d’intérêt . Pour éviter un désastre social, le rapport propose une thérapie de choc métaphorique : des « sucres rapides » pour l’urgence (relance du PTZ, report à 2028 de l’interdiction de louer les passoires thermiques G, régulation des meublés touristiques), suivis d’une refondation structurelle. Celle-ci passe par la création d’un « statut du bailleur privé » permettant l’amortissement fiscal du bien, afin de reconnaître l’investisseur comme un producteur de service essentiel.
Proposition de loi visant à adapter les enjeux de la rénovation énergétique aux spécificités du bâti ancien, Sénat, Michaël Weber et plusieurs de ses collègues, 2024
Face au constat que le Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) pénalise injustement le bâti ancien (construit avant 1948) en ne prenant pas en compte ses qualités thermiques naturelles (inertie, régulation hygrométrique), cette proposition de loi entend corriger le tir. Les auteurs alertent sur les dangers d’une rénovation standardisée (l’isolation par l’extérieur ou l’usage de matériaux étanches comme le ciment ou le polystyrène) qui, appliquée aveuglément aux vieux murs, engendre des pathologies irréversibles (moisissures, pourrissement des structures) et défigure le patrimoine. Le texte propose d’adapter les méthodes de calcul du DPE, d’instaurer des règles spécifiques pour ces bâtiments et d’exiger une formation pointue des professionnels pour éviter le massacre patrimonial et sanitaire. Adopté par le Sénat le 23 octobre 2024, ce texte a été transmis à l’Assemblée nationale où il est actuellement en attente d’examen.
- Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la paupérisation des copropriétés immobilières, Sénat, Amel Gacquerre et Marianne Margaté, 2024
Ce rapport dresse un constat alarmant sur la fragilisation silencieuse des copropriétés en France, un phénomène qui dépasse largement les grands ensembles médiatisés pour toucher massivement les petites copropriétés de centre-ville. Les auteures décrivent un « angle mort » des politiques publiques : sur les 888 000 copropriétés estimées, plus de 300 000 ne sont pas immatriculées et échappent aux radars de l’État. Le rapport analyse l’engrenage fatal de la paupérisation : vieillissement du bâti + appauvrissement des propriétaires + blocages décisionnels liés à la loi de 1965. Selon le rapport certaines copropriétés sont devenues un « parc social de fait » qui pallie les carences du logement HLM, mais sans les filets de sécurité (entretien, gestion) du secteur social. La proposition de créer une « Banque de la rénovation » est un aveu implicite que le secteur bancaire privé a failli. Les banques refusent de prêter aux syndicats de copropriétaires (trop risqué, trop complexe).
🔄 La critique de la loi de 1965 face à l’urgence climatique : les auteures suggèrent que la démocratie directe de la copropriété (le vote en Assemblée Générale pour chaque décision) est devenue un frein mortel face à l’urgence de la rénovation énergétique. En proposant de donner plus de pouvoir au conseil syndical et de limiter le droit de vote des mauvais payeurs, le rapport plaide pour une professionnalisation et une verticalisation de la gestion pour sortir de la paralysie.
- Le soutien aux logements face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population, Communication de la Cour des comptes à l’Assemblée nationale, octobre 2023
Ce rapport dresse un bilan sévère de l’efficacité réelle des politiques d’aide à la rénovation (MaPrimeRénov’), jugées « en demi-teinte » malgré des objectifs quantitatifs atteints. La Cour démontre que la massification des aides a favorisé l’explosion des « mono-gestes » (73% des dossiers, principalement des changements de chauffage) au détriment des rénovations globales, seules capables d’atteindre les cibles climatiques de 2050 . Le rapport pointe une « jungle administrative » où la cohabitation non coordonnée entre les aides budgétaires (Anah) et les Certificats d’Économie d’Énergie (CEE) complexifie le parcours de l’usager et nuit au pilotage public . Sur le plan financier, l’institution souligne l’impasse du financement des rénovations d’ampleur : les aides ne couvrent que 20 à 40 % du coût réel, laissant un « reste à charge » insoutenable pour les ménages, d’autant que les banques ne distribuent quasiment pas l’éco-PTZ (moins de 5% des gestes aidés).
🔄 L’angle mort de la performance réelle : la Cour critique vertement le pilotage de la politique publique par des modèles théoriques (conventionnels) qui ne reflètent pas la réalité physique des logements. Elle dénonce une politique qui finance des actes de travaux plutôt que des résultats thermiques vérifiés.
2. Analyse de la rénovation résidentielle : étude de cas à partir d’un appartement parisien
Ce projet d’étude examine la rénovation d’un appartement parisien standard pour mettre en lumière les points de friction de la politique actuelle du logement. Cette démarche expérimentale s’articule autour de trois axes méthodologiques.
1. L’appartement comme traceur (méthode patient traceur)
Le logement sert de « témoin » pour cartographier la réalité des parcours administratifs et techniques. L’objectif est de documenter et visualiser concrètement les procédures (travaux, assurances, dispositifs type MaPrimeRénov’) auxquelles le propriétaire est confronté. Voir la méthode du patient traceur.
2. L’analyse décisionnelle (méthode Delphi)
Afin d’améliorer les processus de prise de décision, un panel représentatif d’acteurs (syndics, artisans, locataires, copropriétaires, administrations,…) est consulté à chaque étape clé ou chaque point de blocage. Cette approche permet de visualiser les zones de consensus et les divergences entre les parties prenantes. Voir la méthode Delphi.
3. Perspective managériale et documentation des « faits manqués » (Henri Fayol)
En s’appuyant sur les principes d’administration d’Henri Fayol, l’étude élargit le champ d’analyse. Elle examine les défaillances de gestion observées pour en extraire des enseignements structurels et formuler des préconisations à destination de l’ensemble des acteurs de la chaîne du logement.
