Utilité sociale

Du néant à l’usine à gaz.

Au début des années 2000, les structures associatives avaient le champ libre en matière d’évaluation. Les obligations étaient avant tout comptables et l’analyse des résultats, notion floue, souvent laissée en jachère. C’est ce déficit qui a justement donné naissance à EVAL : renforcer les capacités des institutions et de la société civile en suivi et évaluation et diffuser la culture de l’évaluation, au-delà des outils de pilotage, comme vecteur de transparence et d’apprentissage.

Néanmoins, à mesure que les notions du « new public management » et de « Gestion axée sur les résultats » se diffusaient dans le domaine public, parallèlement à une raréfaction des fonds et des subventions, les projecteurs se sont progressivement braqués sur l’efficacité des projets, puis sur leur efficience et plus récemment sur leurs impacts. Justifier des effets de son action, directs ou indirects, positifs ou négatifs, prévus ou imprévus. Mesurer l’ensemble des changements significatifs et durables dans la vie et l’environnement des personnes ayant un lien de causalité avec le projet.

Prise de conscience, appropriation de la problématique par les acteurs, effet de mode, ou en réaction aux méthodes de mesure d’impact social basées sur la monétarisation, est alors apparu la notion d’utilité sociale déclinée parfois en « utilité sociale et territoriale » ou encore « utilité sociale et environnementale ».

Certaines structures se sont vues imposées des schémas lourds et non adaptés : une charge supplémentaire non intégrée, non compensée et donc au détriment de l’activité de terrain et de l’attention consacrée aux usagers. Une profusion d’information collectée mais insuffisamment traitée et analysée et donc ôtant le principal objet de l’évaluation : son utilité.

Aussi, plus courant dans les petites et moyennes structures : le dispositif d’évaluation reste à l’appréciation de l’équipe dirigeante, pour autant les exigences, notamment en ce qui concerne la mesure et la justification de l’utilité sociale, se sont accrues sans préalablement avoir ouvert des voies pour permettre aux ressources humaines de monter en compétences sur ces notions.

C’est pourquoi la mise en place d’initiatives qui viennent combler ce déficit et renforcer les acteurs du territoire sont encouragées. L’enjeu est de taille pour les structures associatives et de l’ESS dans son ensemble, car la pression est double par rapport à une entreprise traditionnelle : non seulement être viable économiquement mais aussi devoir justifier de son utilité sociale.

Si une profusion de définitions existent concernant cette utilité, aucune n’est pour autant unanimement acceptée. Définir cette utilité sociale est une opportunité pour chaque acteur de redessiner son objet, ses projets, de co-construire avec l’ensemble des parties-prenantes, en premier lieu les usagers, les critères et les indicateurs qui permettront d’esquisser un premier dispositif de mesure de l’utilité sociale.

Mesurer l’utilité sociale à l’instar de l’effet d’une action à moyen ou long terme est extrêmement complexe, notamment dans le cadre d’actions sociales, liées à la citoyenneté ou encore visant des changements de comportements. Cependant la délimitation et l’acceptation de cette complexité de la part des parties prenantes demeure une première étape cruciale. De la même manière, si une mesure précise, « scientifique », de l’utilité sociale reste délicate, voire prétentieuse ou farfelue, la mise en place d’outils de collecte d’information permettant de cerner des tendances, des échelles de progrès ou encore d’apprendre de ses échecs passés est à la portée de chaque structure.

Pour aller plus loin :
Guides

Ce guide est destiné aux dirigeants d’entreprises de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) souhaitant améliorer la gestion de leur activité grâce à des indicateurs pertinents. Il propose une méthode pour passer d’une simple gestion à un « pilotage » stratégique, en alignant les actions sur la mission d’utilité sociale. 

Le guide sous-entend que de nombreuses structures de l’ESS fonctionnent avec des outils de gestion basiques, voire inexistants, ou sont submergées par des demandes de reporting externes qui ne les aident pas à piloter leur propre projet. Le discours sur la « professionnalisation » de l’ESS est présent, mais avec une mise en garde : cette professionnalisation doit servir la mission sociale et non l’inverse. Le guide propose une démarche systématisée mais adaptable pour que les entreprises de l’ESS, y compris les plus petites, s’approprient des outils de pilotage souvent perçus comme complexes ou réservés aux grandes entreprises.


Ce guide méthodologique propose une approche pour les organisations de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) afin d’évaluer leur utilité sociale. Cette « utilité sociale » est identifiée à travers trois phases principales : la qualification (définir ce qui compte), la quantification (mesurer ce qui est mesurable et pertinent), et l’apprentissage organisationnel (s’approprier les résultats). Le guide détaille un processus en six étapes et l’illustre avec une étude de cas de l’UCPA. Un fort accent est mis sur une phase de « qualification » approfondie, qui cherche à définir collectivement ce qui constitue la valeur et l’utilité sociale pour l’organisation spécifique avant toute tentative de mesure.  Le processus d’évaluation lui-même peut être une action sociale transformatrice, favorisant de nouvelles dynamiques collectives. La méthode préconise une introspection organisationnelle profonde et une élaboration collective du sens. L’idée est passer d’une posture réactive consistant simplement à « rendre des comptes » aux financeurs à une position proactive de démonstration, de développement et d’appropriation de leur utilité sociale.

L’UCPA est décrite comme conciliant « une logique sociale autour de son projet associatif, éducatif et sportif et une logique économique pour assurer l’autonomie de ses activités ». Elle est agréée « entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) ». Cette nécessité de pérennité économique est plus récente par rapport à l’impulsion initiale, de « permettre aux jeunes de vivre la fraternité autour du nautisme et de la montagne ».

Ce guide vise à aider les collectivités locales à intégrer l’utilité sociale au cœur de leurs politiques. Il propose une démarche pour que les acteurs locaux et les collectivités définissent ensemble ce qui est socialement utile sur un territoire, allant au-delà de la simple valeur économique. L’objectif est de co-construire des politiques publiques, notamment en s’appuyant sur l’économie sociale et solidaire (ESS), pour mieux identifier et démontrer l’apport sociétal de ses actions. Ce document fournit des repères théoriques, une méthode pratique en sept étapes, des outils et des exemples concrets pour faciliter cette intégration.

L’accent mis sur l’utilité sociale comme levier pour transformer l’ensemble des politiques publiques, et pas seulement celles dédiées à l’ESS. La mention des « inquiétudes sur une régulation marchande de l’intérêt général » pointe vers une méfiance de la convention sociale qui pourrait résulter d’une évaluation uniquement entre les mains d’un secteur privé et lucratif. Le guide participe notamment au développement d’appels à projets et de financements plus alignés sur des critères d’impact social et environnemental. L’évaluation des appels à projets eux-mêmes pourrait aider à formaliser les critères d’utilité sociale et à valoriser les projets. L’évaluation peut questionner comment les projets soutenus influencent les politiques publiques de manière plus large.

Les 5 dimensions de l’utilité sociale (source guide Avise)
  • 2010 – La notion d’utilité sociale au défi de son identité dans l’évaluation des politiques publiques- Claudine Offredi, Françoise Ravoux, L’Harmattan

L’ouvrage explore la notion d’utilité sociale dans le contexte de l’évaluation des politiques publiques. Il soutient que la justification d’une activité ou d’un dispositif ne se limite pas à des mesures d’efficacité, d’efficience et de cohérence. Il est essentiel de démontrer la « plus-value sociale » apportée par les actions entreprises. L’utilité sociale est envisagée sous différents angles, englobant des valeurs telles que la solidarité, le bien-être individuel et social, le lien social, les biens publics, la cohésion sociale et la reconnaissance. L’ouvrage examine comment cette notion complexe peut être intégrée et mesurée dans l’évaluation des politiques, soulignant l’importance de la participation citoyenne dans ce processus.

Ce guide méthodologique s’adresse aux organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS), notamment les associations. Il propose une démarche d’auto-évaluation assistée pour mesurer leur utilité sociale. L’utilité sociale n’est pas une définition a priori, mais une construction par les acteurs et leurs partenaires. Les acteurs de l’ESS doivent anticiper et définir leurs propres critères d’évaluation, au-delà des indicateurs économiques classiques, pour valoriser leur plus-value sociale. La démarche proposée est une auto-évaluation assistée, où un accompagnateur apporte un appui méthodologique. Le guide véhicule un message d’empowerment pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. En les incitant à définir et évaluer eux-mêmes leur utilité sociale, il les positionne comme des agents actifs et légitimes dans le paysage socio-économique, et non comme de simples exécutants ou bénéficiaires passifs de financements. Le plaidoyer pour une co-construction avec les pouvoirs publics est aussi un appel à des relations plus équilibrées et à une reconnaissance de la spécificité de l’ESS. Le chantier d’articulation entre des démarches d’auto-évaluation qualitatives, adaptées à chaque structure, et le besoin de certains partenaires (notamment publics) d’avoir des indicateurs plus standardisés demeure un enjeu, pas encore compris par certains bailleurs de fonds.

Articles

L’article propose une analyse de la transition en France d’une conception de l’action publique dominée par l’État et la notion d’« intérêt général » vers un modèle où l’« utilité sociale » devient un concept clé. Cette évolution s’accompagne de l’émergence d’une nouvelle figure : le « travailleur associatif », un salarié de droit privé œuvrant pour des fonctions relevant de l’action publique et de la professionnalisation de ce secteur.

Cette évolution a élargi le champ d’action du secteur associatif, lui permettant de devenir un acteur majeur dans la fourniture de services et la mise en œuvre de politiques publiques.

L’auteur expose la tension sous-jacente dans la professionnalisation du secteur associatif : la recherche d’efficacité et l’application de méthodes managériales peuvent entrer en conflit avec l’éthos traditionnel de vocation, de don de soi et de relation humaine qui caractérise le secteur associatif.

Le fait de définir de plus en plus le bien public par un nombre multiple d’acteurs rend cruciale la manière dont ces échanges se déroulent, ce qui impliquerait d’introduire et d’évaluer également le mode et la qualité et de ces méthodes de concertation et de construction des consensus.

#auto-fonctionnaire

Ce rapport de Jean Gadrey, datant de février 2004, analyse en profondeur la notion d’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS). Il s’agit d’une synthèse critique de 38 rapports de recherche antérieurs, visant à clarifier un concept jugé « insaisissable et multiforme » mais omniprésent.  L’auteur postule que l’utilité sociale est une « convention socio-politique en devenir », façonnée par les interactions, les débats et les rapports de force entre les différents acteurs (chercheurs, associations, pouvoirs publics) dans un contexte historique et social donné. Le flou persistant autour de la notion reflète des désaccords sociétaux plus larges sur les rôles respectifs de l’État, du marché et de la société civile. la formalisation de « l’utilité sociale » est une réponse stratégique, voire défensive, de l’ESS face aux pressions du marché et aux exigences de justification des financements publics. Le risque de « dérive gestionnaire » et de « contrôle bureaucratique » évoqué par Jean Gadrey c’est largement matérialisé. Le rapport préconise une évaluation de l’utilité sociale basée sur des critères explicites : reconnaissant que l’utilité sociale est une convention, son évaluation doit s’appuyer sur des dimensions et critères clairement définis et débattus. Equilibrée entre l’analyse de processus et des effets, combinant quantitatif et qualitatif, mais encore participative.

Thèse

2022 – Évaluer l’économie sociale et solidaire : socioéconomie des conventions d’évaluation de l’ESS et du marché de l’évaluation d’impact social, Marion Studer

Ressources sur l’ESS

Démocratie locale

  • Guide de l’élu municipal d’opposition, Clotilde Ripoull, Christian Bigaut, La Documentation Française, 2014

Cet ouvrage offre aux conseillers municipaux minoritaires des clés pour exercer efficacement leur mandat. Le guide semble combler un vide en s’adressant spécifiquement et de manière pratique aux élus d’opposition, souvent démunis en termes de ressources et de formation ciblée. L’approche combine l’expérience de terrain (Clotilde Ripoull, ancienne élue d’opposition et fondatrice de l’AELO) et l’expertise juridique (Christian Bigaut, haut fonctionnaire et juriste). Il met en lumière un certain écart entre l’importance démocratique du rôle de l’opposition et le peu de moyens ou de reconnaissance formelle dont elle dispose légalement. le guide semble plaider pour un rééquilibrage des pouvoirs au niveau local. Il sous-entend que sans une opposition vigilante, informée et active, la démocratie locale peut s’affaiblir, tendant vers une gestion unilatérale par la majorité. Le guide contient diverses pistes et recommandations. Par exemple, dans les communes de plus de 20 000 habitants, les conseillers d’opposition peuvent proposer la création de missions d’information et d’évaluation sur des politiques spécifiques et ont le droit d’y participer. Voir également Association nationale des élus locaux d’opposition

Ce document ouvre la voie à une réflexion informée sur la modernisation de la démocratie locale en France, en fournissant des exemples concrets de fonctionnement alternatif émanant de pays voisins.

L’auteur analyse les droits de l’opposition et la séparation des pouvoirs au sein des collectivités territoriales (communes) en Allemagne, Italie, Pays-Bas et Suède, en s’appuyant sur les exemples de Cologne, Milan, La Haye et Göteborg. On observe une « parlementarisation » des assemblées communales où l’opposition est reconnue comme une composante essentielle.

En présentant ces exemples étrangers détaillés, le document suggère que le système français pourrait bénéficier d’un renforcement des droits de l’opposition et d’une réflexion sur l’équilibre des pouvoirs au niveau local.

Ce document s’inscrit dans une tradition démocratique valorisant le pluralisme, les contre-pouvoirs et la reddition de comptes au niveau local. Il reflète une volonté de « parlementarisation » des assemblées locales, où l’opposition est un acteur légitime et doté de moyens. A titre d’exemple, en 2011, le montant des dépenses allouées au soutien des groupes politiques à La Haye s’élevait à 1 435 000 euros.

Les mécanismes décrits par lesquels l’opposition exerce ses activités (questions, interpellations, accès aux documents, participation aux commissions ) participent et contribuent à l’évaluation des politiques publiques.

Ce document, un cadre de référence pour les Conseils Citoyens, a été établi par le ministère français en charge de la politique de la ville. Il vise à institutionnaliser la participation des habitants des quartiers prioritaires à la politique de la ville, notamment via les contrats de ville.

L’objectif est de passer d’une consultation à une co-construction des politiques publiques, en s’appuyant sur l’expertise d’usage des résidents et des acteurs locaux. Il détaille les principes (liberté, égalité, fraternité, laïcité, neutralité, indépendance), la composition (collèges habitants et acteurs locaux, avec parité hommes-femmes et tirage au sort pour les habitants), les missions (favoriser l’expression, co-construire les contrats de ville, stimuler les initiatives citoyennes) et les moyens alloués.

Le document insiste sur les principes d' »indépendance », de « neutralité » et de « liberté de parole » pour les conseils citoyens. Cela suggère que, par le passé, les instances participatives pouvaient être perçues comme inféodées aux pouvoirs publics ou que la parole des habitants n’était pas prise en compte de manière autonome.

Le document stipule que les conseils citoyens doivent être associés à l’élaboration, au suivi et à l’évaluation des contrats de ville.

Les classiques

Un recueil de quatre essais qui analysent les maux de la politique contemporaine. Par exemple, le mensonge en politique. Les décideurs politiques, à force de construire une image de la réalité qui sert leurs intérêts, finissent par y croire eux-mêmes. Ils se coupent des faits et s’enferment dans une fiction idéologique, rendant toute décision rationnelle impossible. Pour Arendt, ce n’est pas tant le mensonge aux autres que le mensonge à soi-même qui constitue le plus grand danger pour l’action politique.

Dans « Politique et Révolution » Arendt analyse les fragilités des systèmes politiques occidentaux et s’interroge sur les conditions d’un régime qui garantirait la pleine participation citoyenne. Elle critique la déconnexion des élites politiques et propose comme alternative de revitaliser des formes de démocratie directe, comme les conseils citoyens.

Autres ressources en évaluation par secteur

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Utilité sociale