- Understanding and Practicing Participatory Evaluation, Elizabeth Whitmore, 1998
Un ouvrage qui redéfini l’évaluation. Il promeut une approche où toutes les parties prenantes, y compris les bénéficiaires des programmes, sont activement impliquées dans l’ensemble du processus d’évaluation. C’est une démarche collaborative, axée sur l’apprentissage mutuel et la création de connaissances partagées et le renforcement des capacités locales.
Le livre remet en question la notion d’une vérité objective unique et privilégie une co-construction du savoir. Il existe deux courants principaux : l’évaluation participative pratique (P-PE), qui vise à améliorer l’utilisation des résultats pour la prise de décision, et l’évaluation participative transformative (T-PE), axée sur l’autonomisation et le changement social.
L’évaluation participative s’inscrit dans une idéologie émancipatrice et de justice sociale. Elle puise ses racines dans la théorie critique, la recherche-action et le mouvement plus large du développement participatif. Ses précurseurs incluent Paulo Freire, qui défendait l’autonomisation des communautés opprimées, et Kurt Lewin, avec sa recherche-action cyclique.
L’épistémologie de l’évaluation participative est principalement constructiviste et transformative. Elle postule que la connaissance n’est pas une vérité objective et universelle, mais est socialement construite à travers l’expérience collective et le dialogue.
- Rules for Radicals, Saul Alinsky, 1971
Ce document présente la traduction française de « Rules for Radicals » de Saul Alinsky, un manuel d’action directe non violente pour l’organisation communautaire. Alinsky, pragmatique et peu connu en France à l’époque, y expose ses méthodes pour que les « déshérités » puissent conquérir le pouvoir. L’objectif central est de permettre aux communautés marginalisées de prendre le pouvoir pour changer leur situation.
Alinsky critique le travail social qui vise l’adaptation des individus au système et propose une stratégie conflictuelle pour changer le système lui-même. Plutôt que de créer des structures entièrement nouvelles, il prône l’infiltration et l’utilisation des organisations existantes au sein des communautés (associations, églises, etc.).
L’ouvrage, illustré par des expériences de terrain comme celles de la Northwest Community Organization (NCO) à Chicago, vise à former des « radicaux réalistes » capables de provoquer le changement social en partant du monde tel qu’il est.
Le changement ne peut advenir que par la création d’organisations de masse. Le pouvoir vient de l’organisation. Le changement social naît du conflit et de la confrontation avec les pouvoirs en place. Il ne faut pas l’éviter mais le provoquer et l’utiliser. L’action doit être basée sur des tactiques précises, adaptées à la situation, souvent provocatrices et sortant de l’expérience de l’adversaire. Le ridicule est une arme puissante. Pour changer le monde, il faut d’abord l’accepter et le comprendre tel qu’il est, avec ses imperfections et ses rapports de force.
Une tactique est jugée efficace si elle permet d’augmenter le nombre de membres et de renforcer l’organisation. « Si l’échec sur un point peut amener à l’organisation plus de membres que le succès, alors la victoire c’est d’échouer «
- Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Marcel Mauss, 1923
Cet essai fondamental analyse les systèmes d’échange dans les sociétés « archaïques ». Mauss démontre que le don, en apparence volontaire et gratuit, est en réalité un « fait social total » régi par une triple obligation : donner, recevoir et rendre. Loin d’être un simple troc, cet échange de cadeaux est un mécanisme complexe et obligatoire qui lie les personnes et les groupes (clans, tribus) à travers des liens juridiques, économiques, religieux et personnels. Il soutient que la chose donnée possède une force spirituelle propre (le hau maori) qui contraint le donataire à la rendre, assurant ainsi la circulation des richesses et la création du lien social. Mauss conclut que cette morale du don-échange n’a pas disparu et survit au cœur de nos sociétés modernes.
L’essai brise radicalement le mythe de l’homo œconomicus, l’homme agissant par pur intérêt rationnel, que l’économie classique plaçait à l’origine de la société. Mauss démontre que l’échange originel n’est pas le troc utilitaire, mais le don obligatoire, chargé de symboles et de liens personnels. Il opère ainsi une rupture fondamentale avec la vision purement matérialiste et utilitariste de l’économie.
Un enseignement de pour l’évaluation serait de toujours analyser les phénomènes comme des « faits sociaux totaux ». Cela signifie qu’on ne peut juger un programme sur un seul critère (par exemple, sa rentabilité économique). Il faut impérativement adopter une approche holistique et étudier l’ensemble de ses effets : juridiques, religieux, familiaux, moraux, etc. L’évaluation doit observer le « mouvement du tout », « l’aspect vivant », et saisir les interactions complexes entre toutes les institutions d’une société, plutôt que de les isoler artificiellement.
- Psychologie des foules, Gustave Le Bon, 1895
Cet ouvrage analyse la transformation de l’individu au sein d’une foule. L’auteur soutient que, rassemblés, les hommes perdent leur personnalité consciente au profit d’une « âme collective ». Guidée par l’inconscient, les instincts et les émotions, la foule devient impulsive, crédule et intellectuellement inférieure à l’individu isolé. Les foules sont incapables de se gouverner et ont un besoin instinctif d’un maître. Ce meneur les dirige grâce à son prestige, et en utilisant des techniques de persuasion comme l’affirmation, la répétition et la contagion. « Exagérer, affirmer, répéter, et ne jamais tenter de rien démontrer par un raisonnement. » C’est une formule concise pour la persuasion de masse. Elle implique de construire un message simple, de le marteler sans cesse, de ne jamais admettre le doute ou la complexité, et de s’adresser aux sentiments plutôt qu’à l’intellect. Le Bon affirme que l’histoire n’est pas menée par la raison, mais par des sentiments, des mythes et des illusions, et que les institutions sont le produit de l’âme d’un peuple, et non l’inverse.
Le texte est imprégné d’élitisme et de conservatisme. Le Bon exprime une méfiance, voire une peur, des « classes populaires » et de la démocratie, qu’il associe à « l’ère des foules » et à une phase de barbarie et de destruction. Sa vision de la foule comme une entité uniquement destructrice peut est contredite par des exemples de créativité et de solidarité collectives.
- De la capacité politique des classes ouvrières, Pierre-Joseph Proudhon, 1865
Prudhon expose dans cet ouvrage le mutuellisme : un principe de justice synallagmatique (donnant-donnant) où les citoyens se garantissent réciproquement service pour service, crédit pour crédit, propriété pour propriété. Un « contrat social par excellence » qui s’oppose à la fois au communisme étatique et à l’anarchie capitaliste. Proudhon rompt avec l’idée révolutionnaire jacobine de la « République une et indivisible », qu’il considère comme une centralisation oppressive. Proudhon y affirme que l’émancipation des travailleurs ne viendra pas d’une opposition politique classique, qui partage le même socle idéologique que le pouvoir, mais de la construction par les ouvriers eux-mêmes d’un nouvel ordre économique et politique, qui est le fédéralisme. Prudhon lie indissolublement le politique et l’économique sous un même principe. Le fédéralisme politique n’est que l’application du mutuellisme économique à la gouvernance. Plutôt que de chercher à améliorer le système de l’intérieur, Proudhon suggère aux classes ouvrières de s’en séparer consciemment et publiquement, par exemple par le vote blanc ou l’abstention motivée. Il ne s’agit pas d’une simple protestation, mais d’un acte fondateur pour se constituer en force politique autonome
Une idée clé : la capacité politique ne se résume pas au droit de vote, mais requiert trois conditions : avoir conscience de soi en tant que classe, posséder une idée propre, et être capable d’en déduire des applications pratiques