Commission d’évaluation de l’aide publique au développement : début des nominations

La parution du décret

Le décret relatif aux modalités de fonctionnement de la commission de l’aide publique au développement est paru le 8 février 2025. Pour rappel, la commission est composée de deux collèges : un collège de 4 parlementaires (2 députés, 2 sénateurs) et un collège de 10 experts indépendants (désignés par décret).

Les 2 postes de députés ont été pourvus le lundi 24 mars 2025, la Présidente de l’Assemblée nationale a désigné Sabrina Sebaihi et Hervé Berville.

Sabrina Sebaihi représente la 4e circonscription des Hauts-de-Seine et siège au groupe Écologiste et Social à l’Assemblée nationale. Elle est membre de la Commission des affaires étrangères et a été réélue en 2024. 

Egalement réélu en 2024 et membre de la Commission des affaires étrangères, Hervé Berville siège pour sa part avec le groupe Ensemble pour la République. Il a occupé le poste de Secrétaire d’État à la Mer de 2022 à 2024.

Un peu d’IA pour se projeter et identifier quelques critères d’évaluation

Si nous demandons à Perplexity Pro d’anticiper les critères d’évaluation ou questions évaluatives en fonction des profils des intéressés (voir ci-dessous), les retours sont très classiques avec des questions souvent récurrentes dans les projets et programmes de coopération.

Sauf, sans doute, la question centrale de l’indépendance du mécanisme de suivi évaluation1, qui constitue l’essence même de cette commission. Laquelle s’apprécie notamment à travers le recrutement et la composition de ses membres, actuellement en cours. A travers le choix des nominations, de l’autorisation de points de vue disruptifs ou non se joue en partie l’utilité de cette commission. Bien sûr, son champ d’action dépendra également des moyens alloués pour aller chercher des réponses.

Au coeur de la matrice, des critères sur l’indépendance de la Commission d’Évaluation

Prompt : « Quelles questions évaluative et critères pour estimer l’indépendance d’une commission d’évaluation de l’aide au développement ? (Gemini 2.5)

1. Indépendance statutaire et structurelle (les fondations)

Ce critère évalue si les textes fondateurs et la composition de la commission la protègent des influences politiques et institutionnelles.

La composition et le processus de nomination garantissent-ils la pluralité et la compétence, à l’abri des pressions ?

Transparence de la nomination des experts : y a-t-il eu un appel à candidatures public ? Les critères de sélection sont-ils connus ?

Diversité des profils d’experts : la composition reflète-t-elle une diversité d’expertises (économie, sciences sociales, environnement, géopolitique) et de courants de pensée (critiques, réformistes, etc.) ?

Irrévocabilité du mandat : les membres peuvent-ils être démis de leurs fonctions avant la fin de leur mandat ? Si oui, pour quels motifs et selon quelle procédure ? Un mandat irrévocable (sauf faute grave) est un gage d’indépendance.

2. Indépendance opérationnelle et méthodologique (le pouvoir d’agir)

Ce critère apprécie la liberté de la commission dans la conduite de ses travaux au quotidien.

La commission est-elle libre de définir son programme de travail et ses méthodes ?

Autonomie de programmation : qui décide des politiques et projets à évaluer ? La commission elle-même, ou répond-elle à des saisines du gouvernement ou de l’AFD ? Un bon équilibre serait une majorité de son agenda auto-défini.

Libre accès à l’information : la loi garantit-elle à la commission un accès total, direct et rapide à toutes les données et documents de l’AFD et des ministères concernés, y compris les informations confidentielles ?

Choix des méthodes : la commission est-elle souveraine dans le choix de ses méthodologies d’évaluation, sans que l’administration puisse imposer un cadre ou un angle d’analyse ?

3. Indépendance financière et matérielle (les moyens de l’indépendance)

Ce critère est crucial : sans moyens propres et suffisants, l’indépendance reste théorique.

Les ressources de la commission sont-elles suffisantes et sanctuarisées ?

Origine et pérennité du budget : le budget est-il inscrit sur une ligne propre dans la loi de finances (voté par le Parlement) ou dépend-il du bon vouloir d’un ministère ou de l’AFD ? Est-il pluriannuel pour assurer une visibilité ?

Adéquation du budget : le montant alloué permet-il de mener plusieurs évaluations approfondies par an, incluant des missions de terrain coûteuses ?

Autonomie de gestion : la commission dispose-t-elle de son propre secrétariat permanent et peut-elle recruter librement son personnel et ses consultants externes, sans dépendre des effectifs des administrations qu’elle évalue ?

4. Indépendance dans la diffusion et le suivi (la portée des travaux)

Ce critère évalue si la commission peut communiquer ses résultats sans filtre et si ses recommandations ont un réel impact.

La commission maîtrise-t-elle sa communication et le suivi de ses recommandations ?

Politique de publication : les rapports sont-ils rendus publics dans leur intégralité et de manière simultanée à leur remise au gouvernement et au Parlement ? Y a-t-il un risque de censure ou de retard de publication ?

Obligation de réponse : le gouvernement et l’AFD sont-ils légalement tenus de répondre publiquement aux recommandations de la commission dans un délai imparti ?

Dialogue direct avec le Parlement :
la commission présente-t-elle ses travaux directement devant les commissions parlementaires (Affaires étrangères, Finances) pour alimenter le débat public et le contrôle démocratique ?

Avant de retomber sur une grille de questions évaluatives plus classique et transversale

Prompt : « Compte tenu des prises de positions antérieures de Sabrina Sebaihi et de Hervé Berville, ainsi que du contexte international actuel, quels critères et questions évaluatives pourraient-ils proposer conjointement pour évaluer l’aide publique au développement française ? (Perplexity pro)

  1. Efficacité et redevabilité
  • A quel point les résultats sont-ils conformes aux objectifs ?
  • A quel point les rapports d’avancement sont précis, honnêtes et crédibles ?
  • Quel équilibre entre des différents niveaux de redevabilité (envers les citoyens, envers les différents parlements, envers les bailleurs de fonds, etc.)
  1. Partenariat équitable et horizontalité

    • L’approche dépasse-t-elle les relations État-État pour impliquer la société civile ?
    • Les pays bénéficiaires participent-ils à la définition des projets qui les concernent ?
  2. Durabilité environnementale et justice climatique

    • Comment l’APD contribue-t-elle à la protection de l’environnement et à la lutte contre le réchauffement climatique ?
    • Les projets financés sont-ils compatibles avec les objectifs de l’Accord de Paris ?
  3. Transparence budgétaire

    • La budgétisation des fonds permet-elle de distinguer l’APD « réelle » ?
    • Comment évaluer l’impact de la taxe sur les transactions financières dans le financement du développement ?
  4. Cohérence des politiques publiques

    • Existe-t-il une coordination efficace entre diplomatie, défense et développement (approche « 3D ») ?
    • L’APD est-elle alignée avec les autres politiques françaises (commerciale, migratoire, etc.) ?
  5. Inclusivité et réduction des inégalités

    • Les projets intègrent-ils une dimension de genre et favorisent-ils l’autonomisation des femmes ?
    • Comment l’APD contribue-t-elle à réduire les inégalités dans les pays partenaires ?
En conclusion

Nous obtenons ainsi un triptyque.

  1. La commission d’évaluation, une fois constituée, pourra jouer la fonction d’évaluation indépendante.
  2. La politique de suivi et d’évaluation du groupe AFD illustre, d’un point de vue interne, la gouvernance de l’évaluation2.
  3. Le Fonds d’Innovation pour le développement, sous l’égide de l’AFD et présidé par Esther Duflo finance – tranche par tranche – et accompagne des projets innovants en les dotant de méthodes d’évaluations scientifiques et rigoureuses.

Du juste équilibre des 3 composantes, indépendance, gouvernance et expérimentation mais encore de la fonctionnalité de chacune, dépendra la cohérence d’ensemble du système de suivi et évaluation ainsi développé.

Néanmoins, quelle autre politique publique ou ministère dispose :

  • d’une commission indépendante d’évaluation ?
  • d’une politique interne de suivi et d’évaluation ?
  • d’un dispositif de financement de l’innovation présidé par un ou une prix Nobel d’économie ?

Ainsi, dès 2012, lors de la conférence « Malaise dans l’évaluation » , l’AFD notait que si l’efficacité de l’aide au développement est régulièrement décriée, elle est toutefois la politique publique la plus évaluée.

Un enjeu sera ainsi le transfert des apprentissages de cette commission et le déploiement de cette architecture de l’évaluation (commission indépendante, politique interne et financement de l’innovation) à toute autre politique publique. Notamment les politiques de transition des territoires.

Pour aller plus loin

  1. Voir Un environnement propice à l’évaluation : quels leviers ? ↩︎
  2. Voir la gouvernance de l’évaluation et notamment les documents liés à l’institutionnalisation de l’évaluation, par exemple la loi espagnole : Ley de institucionalización de la evaluación de políticas públicas en la Administración General del Estado, 27/2022 ↩︎

Déception, désillusion et malaise dans le secteur de l’aide au développement : invitation à une conversation

Ce rassemblement a eu lieu lors de la conférence Australasian AID 2023, malheureusement sans laisser de traces consultables. Les questions cependant demeurent.

Invitation to a conversation : what would it look like if we acted our discomfort about international development ?

Vous demandez-vous parfois à quoi ressemblerait le développement international s’il était véritablement équitable, juste et sincère ? Ce qu’il se passerait si nous agissions délibérément sur ce malaise concernant le secteur du développement ? N’hésitez pas à partager avec celles et ceux qui s’intéressent à ces questions et aimeraient être impliqués. En fonction de l’interêt d’un premier évènement en décembre 2023 en marge de la conférence Australasian AID, un rassemblement en ligne pourrait avoir lieu en 2024 avec un nombre plus important de participants.

Déception, désillusion et malaise dans le secteur de l'aide au développement : invitation à une conversation

What would it look like if we acted our discomfort about international development

Voir également : approches critiques de l’aide au développement

Evaluation Systems in Development Co-operation, 2016 Review

Ce rapport s’inscrit dans la continuité des grandes conférences sur l’efficacité de l’aide (Déclaration de Paris (2005), Programme d’action d’Accra (2008), Partenariat de Busan (2011). Ces accords ont poussé les donateurs à se concentrer sur la mesure des résultats, la redevabilité mutuelle et l’appropriation par les pays partenaires, créant ainsi la demande politique pour les systèmes d’évaluation robustes que ce rapport analyse. Néanmoins, le nombre moyen de membres du personnel par unité centrale d’évaluation a diminué, passant de 19 en 2010 à 14,14 en 2015.

Le rapport analyse en profondeur l’organisation et la gestion des systèmes d’évaluation au sein des agences de coopération pour le développement et explore la tension entre les deux objectifs principaux de l’évaluation : la redevabilité envers les contribuables et les parlements, et l’apprentissage organisationnel pour améliorer l’efficacité des interventions futures.

La séparation structurelle de la fonction de redevabilité (confiée à un organe externe comme l’ICAI) et de la fonction d’apprentissage (laissée aux unités internes décentralisées) est une innovation organisationnelle pour résoudre la tension fondamentale de l’évaluation.

Le rapport mentionne que le Groupe d’évaluation indépendant (IEG) de la Banque mondiale a introduit les « After Action Reviews » (AAR), ou « examens après action ». C’est une préconisation très concrète : après chaque évaluation, l’équipe mène un débriefing structuré pour analyser ce qui s’est bien passé, ce qui a mal fonctionné dans le processus d’évaluation lui-même, et comment le travail aurait pu être amélioré pour la prochaine fois.

Une autre recommandation simple et pragmatique est d’instaurer la publication obligatoire de tous les rapports d’évaluation et des réponses de la direction.

Après une première édition en 2010, ce rapport a permis de nouveau en 2016 à chaque agence (ex: Sida en Suède, AFD en France) de se comparer à ses homologues sur des aspects précis comme la structure, le budget, l’indépendance ou les méthodes. Une agence pouvait ainsi justifier une réforme interne en s’appuyant sur les tendances et les meilleures pratiques identifiées.

Evaluation de programmes de développement : plus de ressources