Transition vers des villes durables, apprenantes et inclusives : retour d’expérience

Le projet SLICKS (Sustainable, Learning and Inclusive Cities), fruit d’un partenariat entre deux municipalités, Kampala et Strasbourg, porte une ambition de transformation des territoires structurée autour de 3 axes : agriculture urbaine, éducation et biodiversité. 

Ce projet de coopération décentralisé a été financé par l’AFD et opérationnel d’octobre 2023 à décembre 2024.

Ce retour d’expérience fait suite à l’évaluation finale externe contractuelle réalisée par EVAL entre novembre 2024 et mars 2025. Ce texte comme une goutte d’eau à apporter à la mémoire institutionnelle des organismes et institutions de développement.

Axé sur le partage d’expertise et la recherche de synergies, SLICKS a la particularité d’avoir actionné, sans le vouloir ou le rechercher explicitement, l’ensemble des objectifs de développement durable. Modestement, en interaction avec les 17 ODD !

Si le projet est unanimement reconnu comme un succès, une autre spécificité est sa clôture définitive, malgré les soutiens, malgré toutes les pistes de renouvellement explorées, illustrant l’incapacité des acteurs à s’extraire des mécanismes institutionnels et cadres de financement existants, afin de dimensionner et poursuivre une vision stratégique. De construire ou adapter le véhicule en fonction de la destination. Comme la poursuite d’une diplomatie d’influence1. Car si SLICKS a avant tout bénéficié à Kampala, il a créé des émulsions à Strasbourg et surtout permettait à toute entité française d’enrichir ou de développer un lien privilégié avec l’Ouganda. A un moment où la carte des coopérations est à reconstruire et où fument encore les cendres des échecs sahéliens2. Qu’avons-nous appris ?

« SLICKS » désigne également, dans le jargon des sports mécaniques, un modèle de pneu de course, réputé pour son adhérence. Une adhérence qui pourrait s’inscrire comme un critère d’évaluation à part entière : un alliage d’acceptation, d’appropriation et de pérennité. 

Or la pérennité demeure, encore et toujours, le b.a.-ba, le point faible des projets, comme rabâché depuis des décennies dans les études de développement et masters divers et variés en gestion de projets, une grande inconnue dans ce type de format de coopération. 


Bien qu’adaptant des recettes connues (participation, flexibilité, démarche concertée et transformation des acquis en stratégie municipale,…), l’approche s’était matérialisée en dehors des manuels et SLICKS faisait figure de projet modèle. Une occasion d’en souligner quelques limites et préconisations notamment dans le champs du suivi évaluation.

Quelques écueils et observations

Des écueils et observations tout particulièrement axés à l’intégration du SE dans le cycle de projets :

  • si la phase opérationnelle est « surmonitorée » (plus d’une centaine d’indicateurs de réalisations), la phase de montage n’est que peu documentée, la phase ex-post est complètement absente du cycle de projet
  • les retards initiaux, quelles qu’en soient les causes, récurrents au points d’en devenir systématiques, SLICKS ne faisant pas exception, sont insuffisamment compensés – lorsque la date de démarrage recule, la date de clôture à tendance à rester relativement fixe
  • la phase de montage est disproportionnée par rapport à la phase de mise en oeuvre (44 mois pour l’identification, l’instruction et la contractualisation, 27 mois d’opérationnalisation)
  • l’énergie consacrée à suivre la performance du projet réduit voire empêche de se concentrer et d’observer l’évolution des contextes, de voir se lever les vents contraires
  • les critères du CAD (pertinence, cohérence, efficacité, efficience, impact, durabilité) sur lesquels sont construits les termes de référence sont définitivement insuffisants, par exemple, ils n’intègrent pas l’évaluation de la gouvernance, qui était le point saillant de ce projet. S’attaquer à l’ensemble des critères du CAD oblige alors à faire le tour du propriétaire sans même savoir qui est le propriétaire…
  • une absence ou insuffisance d’espaces de concertation officiels afin d’évoquer les enjeux stratégiques. Les comités de pilotage sont avant tout considérés comme des espaces d’affichage des résultats.
  • la catégorie « population les plus vulnérables » reste générique et insuffisamment catégorisée
  • les projets de coopération décentralisée sont échelonnés et cahotés par une multitude d’échéances électorales (potentiels changement de municipalité, de majorité présidentielle, d’orientation stratégique du bailleur, etc.) générant des accélérations, ralentissements et rebondissements multiples… Si ces écueils sont bien connus, ils restent relativement peu documentés à l’échelle des projets pour accompagner les équipes de mise en oeuvre dans la conduite « en zone de turbulence » 
Apprentissages et recommandations récurrentes

➡ Le système de suivi évaluation doit être développé en phase de montage et validé par le comité de pilotage 

➡ Intégrer des critères complémentaires à ceux du CAD et des critères transversaux, afficher dans le SSE comment sont hiérarchisés les critères afin d’éclairer également les valeurs du projet et ses priorités

➡ Programmer des rencontres régulières afin d’actualiser les questions évaluatives, que le SE deviennent partie prenante de l’action et de la gouvernance, les séminaires SEA jouent un rôle d’adjuvant en dehors des temps d’évaluation contractuels (mi-parcours, finale,…) 

➡ Valorisation des compétences en suivi-évaluation issues de la coopération pour la transition des territoires :

Au fil des années, les coordinateurs de projets de coopération ont acquis des compétences solides en suivi et évaluation. Ces savoir-faire, développés dans le cadre de la coopération internationale ou décentralisée, représentent un atout qui pourrait être mobilisé pour l’évaluation des projets de transition des territoires, et plus largement pour l’évaluation des politiques publiques à l’échelle nationale. Voir les métiers de l’évaluation.

➡ Mobiliser les compétences en gestion de projets des RRMA (réseaux régionaux multiacteurs)

Les forces et faiblesses de la coopération décentralisée soulignent les besoins des collectivités en gestion de projets. Les expertises des RRMA pourraient être mutualisées au service des projets de territoires ou de toute politique publique.

  • Les projets de coopération développent toujours des axes forts en renforcement des capacités, sans qu’un lien ne se fasse systématiquement avec les structures nationales en charge de la formation continue ➡ identifier les acteurs clés, systématiser un partenariat, intégrer les supports de formation (reconnu, référencé), organiser le transfert (propriété intellectuelle, mise à jour, utilisation sur le long terme, etc.) des organismes nationaux de formation professionnelle
  • Le renforcement des capacités est une expertise à part entière, qui ne saurait être laissée à la bonne volonté, si sincère soit-elle, des responsables de projets. Ce projet qui disposait par nature d’expertises pédagogiques embarquées (participation du rectorat) expose des mécanismes didactiques insoupçonnés et une rigueur méthodologique implacable. ➡ Des expertises en ingénierie de formation devraient ainsi être intégrées à tout projet de coopération embarquant du renforcement de capacité (notamment analyse des contextes d’apprentissage et évaluation des acquis)

    ➡ Engager une évaluation interne transversale, au niveau du bailleur de fonds, sur les causes fréquentes de retards en phase de montage, proposer des outils d’anticipation et des parcours alternatifs en cas de blocage (quand bien même celui-ci n’est pas responsable du retard. Diagnostiquer les points faibles récurrent qui freinent le lancement des projets, développer des outils préventifs, formaliser des plans B,… Combler le gap existant entre le suivi évaluation du projet et le suivi évaluation du montage (en terme d’outils, de manuel, de support,…)

    ➡ Intégrer dans le dispositif de financement un suivi post projet systématique d’environ 2 ans – un suivi à minima même si l’équipe projet n’est plus présente, la responsabilité de maintenir un lien entre responsables des institutions concernées pour suivre l’évolution des produits et services générés 

    ➡ Systématiser dès le lancement du projet un partenariat avec une formation en gestion de projet d’un établissement d’enseignement supérieur. Une collaboration visant à partager les retour d’expérience du projet (difficultés, avancées) avec les étudiants et à créer, en lien avec le corps enseignant, des exercices pratiques fondés sur le projets
  • Ce type d’exercice d’évaluation finale externe, contractuelle, est surtout attendu pour servir la redevabilité : une justification de la bonne utilisation de fonds publics. Si tel est le cas, l’ensemble des rapports d’évaluations devrait être rendu public. ➡ vérifier la disponibilité et accessibilité des évaluations à travers une base de données simple d’utilisation et contribuer à développer la mémoire institutionnelle du développement 
  • Des évaluations d’avantage axées sur l’apprentissage permettraient à des équipes d’évaluation mixte (interne/externe) d’accompagner tout au long du cycle de projet en endossant différentes casquettes, notamment celle de la facilitation ➡ orienter les ToR vers plus d’équilibre entre apprentissage et redevabilité pour un accompagnement SE itératif
  • L’intégration de la phase suivant la validation du rapport d’évaluation dans l’apprentissage institutionnel se fait par le double levier du suivi des recommandations/orientations de l’évaluation et de la capitalisation/mutalisation des enseignements tirés d’autres projets, programmes et composantes. ➡ les équipes d’évaluation doivent être impliqués au-delà de la validation du rapport

En conclusion, à trop vouloir réduire le suivi évaluation à des cadres de performance, les effets inverses sont obtenus. Le suivi évaluation enferme les projets dans leurs ambitions de départ. Des objectifs qui se cristallisent au moment où le contexte d’intervention et les montants budgétaires sont encore flous ; au lieu de les aider à monter en puissance et à réajuster le tir en permanence.

SLICKS, de par des diagnostics de départ approfondis, une rigueur méthodologique stricte, un alignement avec les politiques nationales, des liens forts avec la recherche, via la volonté de transformer ses expériences pilotes en plan d’action et stratégie des politiques municipales, et/ou plus simplement via la création des liens professionnels et amicaux évite ses écueils.

Mais encore grâce à une certaine souplesse du bailleur de fond permettant de saisir des opportunités localement. Sans oublier des équipes supports engagées, maitrisant parfaitement les rouages de l’instrument de financement. Enfin des compétences parfois disparates mais souvent solides en « project management » à Kampala à l’instar d’autres environnements anglophones.

Des qualités qui confère à SLICKS des allures de de projet modèle. 

Un projet pourtant dorénavant clôturé, classé, sans opportunité de suivre ou de poursuivre les dynamiques engagées. Certains usages et ancrages perdureront probablement. D’autres non. Nous ne sommes plus en situation de le mesurer. As usual

Si la mayonnaise ne prend pas toujours, la recette est pourtant connue. 

La consultation, la participation, la réciprocité, l’adéquation au contexte, l’alignement avec les politiques nationales sont partie intégrante de tout manuel de suivi évaluation.

Une dernière recommandation alors qui vise un effet sur toute les autres :

La création d’un pool d’accompagnement, multidisciplinaire, hébergé au niveau du bailleur

Ce type de structure (pôle d’expertise, centre d’assistance, facilité d’accompagnement,…) dans tout fond de subventions, vise des objectifs variés :

  • apporter un appui technique aux équipes opérationnelles pour le montage et la gestion de projet
  • contribuer et donner forme à la mémoire du développement 
  • production de supports méthodologiques
  • favoriser activement les synergies entre la multitude de projets exécutés de manière isolée
  • établir un caractère permanent au lien avec la recherche

    De nombreuses « facilités » existent déjà, néanmoins de manière isolées. Dans son absence, reste la perception ou le style de management de chaque responsable de programme : dans le contrôle ou l’accompagnement ?


Pour finir, constatons que les recommandations ci-dessus sont récurrentes depuis des années. Les lacunes, persistent. L’évaluation reste finale, contractuelle, inexploitée : pourquoi ? Dans le cadre de projets, suivre les facteurs favorables ou limitant est aussi cruciale que mesurer les effets. Il s’agira d’insérer systématiquement dans toute évaluation une partie liée à l’analyse du contexte propice ou non à l’évaluation. Le positionnement de l’évaluation dans l’organigramme. Analyser puis relier contribution directe des données et apprentissages SE à la prise de décision stratégique au plus haut niveau.

En bref

L’expérience SLICKS permet d’entrevoir diverses recommandations pragmatiques applicables à tout projet de transformation urbaine.

Une recommandation néanmoins permettrait un effet levier sur toutes les autres : la constitution de pools d’accompagnement des projets au niveau du bailleur de fonds. Pour se faire, l’évaluation doit également être positionné à un niveau stratégique et non plus une simple mesure de la performance des équipes opérationnelles.

1. Formalisation du SSE en phase de montage

Définir et formaliser le système de suivi-évaluation dès la phase de montage, avec validation du comité de pilotage, tout en tenant compte de son caractère évolutif.

2. Accompagnement de la phase de montage

Au niveau du bailleur, engager une analyse transversale des blocages en phase de montage, et combler le déficit de littérature existante concernant l’appui à l’écriture de projet (vs manuel de mise en oeuvre). Réallouer les ressources pour renforcer la phase de montage, solliciter des scénarios alternatifs systématiques. 

3. Dépasser les critères du CAD

Intégrer des critères d’évaluation spécifiques (gouvernance, consultation, participation, la réciprocité, adéquation au contexte, alignement avec les politiques nationales,…)

4. La maintenance du SSE comme outil de pilotage stratégique

Organiser des séminaires SEA périodiques, pour partager les apprentissages, libérer la parole, ajuster les questions évaluatives et les méthodes, renforcer les capacités des acteurs impliqués en SE

5. Organiser le transfert d’expérience et de compétences en SE issues des politiques de coopération

Reconnaître et valoriser les compétences structurées en suivi évaluation des coordinateurs de projets de coopération ; établir des passerelles afin de transférer l’expérience en suivi-évaluation de la coopération vers l’évaluation de politiques publiques

6. Embarquer une ingénierie pédagogique

Associer aussi systématiquement que possible une expertise interne en ingénierie de formation à tout projet de coopération incluant du renforcement de capacités

7. Embarquer les organisations de formation professionnelle

Approcher systématiquement les organismes nationaux de formation professionnelle continue dans les projets de coopération pour assurer le transfert et la durabilité des actions de renforcement des capacités.

8. De la coopération décentralisée à la transition des territoires

Favoriser une dynamique d’échanges réciproques entre agents des collectivités locales et opérateurs des RRMA afin de mutualiser les expertises et renforcer les capacités de tous les acteurs territoriaux.


9. Un pont entre théorie et pratique : les partenariats universitaires

Établir dès le lancement de chaque projet un partenariat avec une formation universitaire en gestion de projet pour le partage d’expériences et la création de supports de formation basés sur le projet.


10. Mémoire institutionnelle

Vérifier et garantir la publication systématique des évaluations finales externes et leur accès via une base de données simplement accessible afin de renforcer la redevabilité et consolider la mémoire institutionnelle.

11. Des termes de référence évolutif pour ajuster l’évaluation et répondre à des besoins opérationnel émergents

Ajuster les Termes de Référence (ToR) pour assurer un équilibre entre apprentissage et redevabilité, où l’évaluateur externe peut également jouer un rôle de facilitation et participer à prolonger les effets d’un projet clôturé 

12. Poursuivre la relation au-delà de la remise du rapport d’évaluation

Impliquer les équipes d’évaluation après la validation du rapport pour assurer le suivi des recommandations et la capitalisation des enseignements.

Pour aller plus loin

  1. Voir « feuille de route de l’influence, MEAE, 2021″ ↩︎
  2. De « Vingt ans d’aide au Sahel – Trouver des problèmes aux solutions« , Club du Sahel, Jean-David Naudet, 1999 à « Quelle stratégie pour la France en Afrique ? Pierre Prod’homme, Revue Défense Nationale, 2023
    ↩︎

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